Les projets de la secte de Sus inquiètent les autorités

«Aucun commentaire à faire» affirme l’avocate de Tabitha’s Place tout comme les membres de la communauté sollicités sur place.

© Nicolas Sabathier

 

  • Les projets de la secte de Sus inquiètent les autorités
    Georges Fenech, député UMP s’en tient au rapport annuel remis au Premier ministre.

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  • Les projets de la secte de Sus inquiètent les autorités
    «Aucun commentaire à faire» affirme l’avocate de Tabitha’s Place tout comme les membres de la communauté sollicités sur place.

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La réunion prévue ce mardi 12 juillet en préfecture, avec les représentants de tous les services de l’Etat, aura un seul point à l’ordre du jour : la secte de Sus. « A la demande du maire, nous aborderons le problème de l’éducation des enfants de la communauté, mais aussi ses différents projets d’urbanisme et d’extension», confirme Frédéric Loiseau, directeur de cabinet du préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Implantée dans ce petit village béarnais, entre Navarrenx et Oloron, la communauté Tabitha’s Place fait de temps en temps parler d’elle, notamment en raison des conditions d’éducation des enfants des membres qu’elle accueille.

Cette fois, c’est la volonté manifeste de Tabitha’s Place de s’étendre au-delà de Sus qui suscite bon nombre de questions dans la région de Navarrenx. Des élus locaux affirment que la communauté Tabitha’s Place est sur le point de réaliser d’importantes acquisitions de biens immobiliers. Des projets qui viennent s’ajouter à l’intérêt de plus en plus marqué par la secte pour les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Une évolution qui inquiète à Navarrenx, lieu majeur de la tradition jacquaire A tel point que le curé de Navarrenx et de Sauveterre, l’abbé Lucien Plazanet n’hésite plus à « mettre en garde certains pèlerins. On leur dit de rester attentifs, notamment par rapport à des tracts qui leur sont donnés à lire», ajoute-t-il.

Un mouvement religieux de type fondamentaliste

Installé dans le paysage local depuis plus d’un quart de siècle, ce mouvement sectaire est bien connu de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), Cet organisme officiel qui mène une action d’observation et d’analyse du phénomène des sectes et coordonne également l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre de leurs dérives est déjà «descendue» à Sus il y a quelques années.

Dans le rapport public de la Miviludes, la communauté Tabitha’s Place est largement décrite. On peut notamment y lire qu’il «s’agit d’un mouvement religieux de type fondamentaliste et apocalyptique».

Des produits bio sous la marque «Tribal Trading Company»

Si personne ne s’autorise aujourd’hui à parler réellement de prosélytisme affiché, les projets d’acquisition immobilières et foncières de la communauté Tabitha’s Place autour de Navarrenx sont suivis avec beaucoup d’attention. Après des tentatives avortées à Navarrenx, Gurs et Dognen, Tabitha’s Place lorgne désormais sur une vaste propriété agricole à Lucq-de-Béarn, dans le canton voisin de Monein. Elle s’intéresse aussi aujourd’hui à une scierie estimée à 120 000€ et un ensemble immobilier à l’entrée de Méritein. Une perspective qui inquiète le maire du village, Jean-Baptiste Lendre: «Je vois cela d’un très mauvais oeil. Hélas, on ne peut rien faire! J’interdirai le racolage sur ma commune mais je pense que ces gens-là ont une idée derrière la tête par rapport aux chemins de Saint-Jacques».

«Nous mettons en garde certains pèlerins»

Soupçonnée de prosélytisme, la communauté Tabitha’s Place, que nous avons joint via son avocate Françoise Selles, «n’a aucun commentaire à faire». Pour autant, à Navarrenx, on observe depuis plusieurs semaines «que la secte accueille désormais les pèlerins sans se cacher», remarquent des commerçants de la place Darralde.

« Je ne parlerai pas de prosélytisme car nous n’en avons pas la preuve. Mais on sait quand même que la communauté Tabitha’s Place accueille des pèlerins dans certains gîtes, chez des particuliers», note l’abbé Lucien Plazanet, «Le lien direct avec la secte n’est pas établi. Au niveau de la paroisse, on accueille tous les jours les pèlerins, de Pâques à octobre, pour leur proposer un temps de prière», poursuit le curé de Navarrenx et Sauveterre.

«Il y a eu 8000 visites l’an dernier. Dans nos réseaux catholiques, nous savons qu’il faut se méfier de certains gîtes. Pour l’instant, cette rumeur ne circule que de bouche à oreille et il n’y a pas de preuve. Mais nous mettons quand même en garde certains pèlerins.» Et le curé de Navarrenx de former un voeu: «Nous aimerions pouvoir continuer à faire sur les chemins de Saint-Jacques l’accompagnement spirituel que des pèlerins viennent y chercher.»

Au marché de Navarrenx, le mercredi matin, Tabitha’s Place affiche la seule partie visible de sa communauté. Elle se résume à un stand, installé sous le porche de la mairie, où sont proposés du pain et des produits biologiques vendus sous la marque «Tribal Trading Company». Ce «peuple tribal vivant sur plusieurs points du globe», selon internet, est immatriculé à Pau depuis 2003 avec un siège déclaré à Sus.

La municipalité de Navarrenx explique par la voix de Serge Lesaque, maire-adjoint, les raisons de l’existence de ce stand: «Nous n’avons aucune préférence». «Les gens de Sus ont voulu s’installer à l’abri, sous la halle. Nous ne pouvions pas refuser», poursuit-il en montrant un acte du tribunal de commerce de Pau. Il a été rédigé en janvier 2009 au profit d’une entité nommée, «Ruben and Brothers» qui compte 35 co-gérants.

Autre exemple au coeur de la cité fortifiée. On trouve rue du Baron d’Arros une épicerie baptisée «A contre courant», spécialisée dans le «commerce fraternel» et qui vend les productions de Tabitha’s Place. « Attention aux tentatives de diabolisation» se défend Jean-Gaëtan Pelisse, qui gère le gite «l’Alchimiste» avec un système de couverts et couchage gratuits et la pratique du «donativo» (1). «J’achète mes légumes à la communauté, point barre! Je n’ai aucune affinité avec ces gens».

Une enquête sur place

Serge Lesaque, l’adjoint au maire se montre également assez circonspect par rapport aux projets d’expansion de Tabitha’s Place : « A Navarrenx, la communauté vend trois salades et distribue quelques tracts. Je sais qu’ils ne vivent pas de l’air du temps.

Mais, de là à parler de prosélytisme, il ne faudrait pas exagérer.» Le fait même que se tienne aujourd’hui une réunion en préfecture est un signe, d’autant que les autorités ont fait mener une enquête sur place. Ce qui se passe à Navarrenx est pris au sérieux.

(1) C’est le principe de l’obole, le pèlerin payant ce qu’il veut à son départ.

 

===> «C’est un mouvement de type apocalyptique»

Contacté, le député UMP Georges Fenech n’a, officiellement, «rien de plus à dire».Au mot près, il s’en tient au rapport annuel remis au Premier ministre et consacré «au regain d’activité sans précédent des mouvements sectaires en France».

Ce document imposant a été rédigé par les membres de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), déjà «descendue» à Sus il y a quelques années, et présidée par l’élu de la majorité présidentielle.

Au sein du chapitre consacré à la présentation des différentes mouvances installées dans notre pays, un long extrait de ce rapport (public) est dédié à la communauté Tabitha’s Place. On peut notamment y lire qu’il «s’agit d’un mouvement religieux de type fondamentaliste et apocalyptique».

La secte béarnaise, «d’origine nord-américaine», justifie l’existence «de toute vie humaine par une lecture stricte et littérale de l’ancien Testament», selon la Miviludes. Même si les membres de Tabitha’s Place contestent ce fait, «l’éducation reçue au sein de la communauté est rigoriste (…) Les enfants, non scolarisés, sont susceptibles d’être châtiés de façon corporelle et se voient «invités» à refuser toute activité ludique», a constaté la mission interministérielle. Elle évoque aussi «une rupture totale avec le monde», la seule sortie hebdomadaire étant en l’occurrence le marché du mercredi matin à Navarrenx. La Miviludes rappelle enfin que ce «mouvement fermé» s’est installé en France au début des années 1980 sur l’inspiration d’un Américain, Eugène Spriggs.

 

 

===> Le chiffre : 120 à 150

C’est le nombre, officieux, de personnes résidant à la Communauté. L’effectif n’a jamais été aussi élevé. Cela s’expliquerait par l’arrivée en Béarn de membres d’une communauté alsacienne aujourd’hui fermée.

Une information appuyée par la présence, à Sus, de véhicules immatriculés dans le Haut-Rhin.

 

===> Bientôt 30 ans

Cela fait 28 ans que la communauté Tabitha’s Place, également connue sous le nom d’Ordre Apostolique, est installée à Sus. Elle vit en vase clos, tirant sa subsistance de différentes activités. Actuellement tournée vers des métiers liés au bois ou à l’agriculture, la secte de Sus a par le passé commercialisé des futons sous le label «Pyrénées». Marquée en 2000 par le décès d’un enfant, dont les parents refusèrent tout traitement, la communauté avait aussi attiré l’attention en novembre 2006 lors de l’enquête conduite par une commission parlementaire. Elle portait sur les conditions de scolarisation et la santé des enfants de Sus.

 

===> 8 à 10 000 pèlerins en Béarn

On estime que plus de 200 000 personnes se rendent annuellement sur les divers chemins de Saint-Jacques recensés en France, avec des motivations très diverses dont celle d’obtenir le «carnet du pèlerin». A Navarrenx, entre 8 000 et 10 000 pèlerins effectuent cette démarche chaque année. Le cheminement jusqu’au tombeau de l’apôtre Jacques Le Majeur, situé dans la crypte de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Galice, est devenu le troisième plus important pèlerinage de la chrétienté. Il est seulement devancé par les pèlerinages de Jérusalem et Rome. Les différents itinéraires connus pour ce pèlerinage sont, depuis 1987, classés au patrimoine culturel de l’Europe.

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