Une dizaine de  personnes étaient en garde à vue mardi soir après une opération de gendarmerie menée à Sus (Pyrénées-Atlantiques) dans les locaux de la communauté sectaire « Tabitha’s Place ». Environ 200 gendarmes ont été mobilisés pour mener des investigations sur cette secte considérée comme « apocalyptique». Un opération a lieu parallèlement à Perpignan, où la même secte a des personnes qui travaillent dans le secteur. Une dizaine d’interpellations ont eu lieu.

Une secte soupçonnée de violences sur des enfants

« Les activités de cette communauté font l’objet d’une information judiciaire que j’ai ouverte en mars 2014 à la suite d’informations données par un ancien adepte », a expliqué le procureur Jean-Christophe Muller lors d’une conférence de presse. L’enquête « concerne des faits d’abus de vulnérabilité dans le cadre d’un mouvement à caractère sectaire, des faits de violences sur mineurs concernant les conditions d’éducation, et des faits de travail dissimulé » et de travail des enfants, a-t-il résumé.

C’est « à l’issue de vérifications longues et minutieuses », notamment sur les ramifications de la secte en Espagne et en Allemagne, qu’une vaste opération de gendarmerie a été lancée dans la nuit contre le château appartenant à la communauté Tabitha’s Place, considérée comme une secte par la Commission parlementaire d’enquête sur les sectes. Elle est aussi connue sous le nom d’ »Ordre apostolique », « Douze tribus » ou « Ruben and Brothers ».

L’opération a mobilisé quelque 200 gendarmes, un hélicoptère, l’Institut de recherche criminelle et des médecins légistes. Une opération similaire a été menée parallèlement dans le secteur de Perpignan, où des membres de la secte travaillent également. Dix personnes, « hommes et femmes responsables de la communauté », étaient en garde à vue mardi soir, neuf à Pau et une à Perpignan, a indiqué M. Muller.

Les mineurs présents dans la communauté ont été auditionnés et examinés par des médecins. Quatre d’entre eux, frères et soeurs d’une même famille âgés de 18 mois à treize ans, ont été placés auprès des services sociaux du Conseil général après la découverte de « traces récentes de corrections physiques », qui font partie du « mode d’éducation » dans cette communauté, a souligné le procureur de Pau.

La secte Tabitha’s Place

Tabitha’s Place est un nouveau mouvement religieux d’inspiration chrétienne, également appelé Ordre apostolique – Therapeutic healing environment ou Les Douze Tribus. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ainsi que des associations anti-sectes comme l’UNADFI considèrent ce mouvement comme étant une secte.

Ce mouvement est une branche du groupe américain Northeast Kingdom Community, basée à Island Pond (dans le Vermont, aux États-Unis), et créée par Elbert Eugen Spriggs (né en 1937, ancien marchand forain reconverti dans l’aide aux drogués). En 1984, date de sa création aux États-Unis, le groupe comptait environ 400 personnes.

Le groupe procède à une lecture fondamentaliste de la Bible, prise au pied de la lettre. Il désire vivre de la même manière que les premiers chrétiens au Ier siècle.

Les membres s’appellent entre eux par des noms hébreux. Ceux-ci, déterminés par les autres membres de la communauté, font référence à un trait de personnalité de celui qui le porte. Le nom-même du groupe (Tabitha) provient d’ailleurs d’une sainte de la Bible ressuscitée par l’apôtre Pierre (récit du Livre des Actes).

Se basant sur certains versets de la Bible, les parents sont encouragés à discipliner physiquement leurs enfants (les châtiments corporels sont encouragés car un verset de la Bible dit « Si tu uses peu du bâton, tu gâtes ton enfant »); ces derniers sont d’ailleurs scolarisés au sein même du groupe et ne vont donc pas à l’école publique. De l’avis général, l’éducation reçue dans la communauté est rigoriste.

Le mouvement proscrit les vaccins et ses membres vivent en autarcie.

« soustraction par un parent à l’obligation légale envers ses enfants »

Selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), « les punitions physiques sont réglementées et graduées » au sein de la secte, avec des coups de baguette d’osier ou de règle sur différentes parties du corps. Pour justifier ces violences, les adeptes invoquent un verset de la Bible: « La folie est liée au coeur des enfants; le bâton qui les châtie les en éloignera ».

L’information judiciaire ouverte pour « soustraction par un parent à l’obligation légale envers ses enfants » doit permettre de savoir dans quelles conditions les « centaines de mineurs » qui transitent dans les locaux de la secte « vivent, sont éduqués et participent à l’activité économique », a affirmé Jean-Christophe Muller.

La Miviludes souligne que « les enfants sont levés à 6 heures du matin et reçoivent un enseignement toute la matinée. L’après-midi, ils travaillent avec leurs parents. Ils n’ont pas le droit de jouer, les jouets étant l’oeuvre du diable ».

Les membres de Tabitha’s Place, qui exploitent à Sus des terres agricoles et vendent des fruits et des légumes, sont également soupçonnés de travail dissimulé, de fraude aux prestations sociales, de blanchiment de fraude fiscale. En mars 2002, 19 membres de Tabitha’s Place avaient été condamnés par la Cour d’appel de Pau pour « soustraction aux obligations légales des parents », notamment refus de scolarisation et de vaccination de leurs enfants.

En octobre 2001, la cour d’assises des Hautes-Pyrénées a reconnu coupables Michel et Dagmar Ginoux, membres du groupe, de « privation d’aliments et de soins ayant entraîné la mort » de leur enfant, Raphaël, décédé en avril 1997 à l’âge de 19 mois. L’enfant souffrait d’une malformation cardiaque non soignée et de rachitisme. Le couple a été condamné à douze ans de réclusion criminelle.

En mars 2002, la cour d’appel de Pau a condamné 19 membres du groupe à 300 Euros d’amende et 6 mois de prison avec sursis pour soustraction aux obligations parentales légales, notamment refus de scolarisation et de vaccination.

Le rapport n°2468 de la Commission parlementaire française est défavorable au groupe, qui l’a listé comme une secte ayant entre 50 et 500 membres, et est considéré comme étant apocalyptique.

Pour sa part, le mouvement récuse cette appellation, affirmant ne pas avoir de gourou, ne pas pratiquer la manipulation mentale et ne pas être coupé du monde.