Interpellations à Tabitha’s Place
Source: Sud Ouest, 20 mars 2008
[Texte intégral]
Interpellations à Tabitha’s place. Les membres de la famille G. , « dépossédés d’eux-mêmes et de leurs biens »
Une première. Lundi, les gendarmes de la section recherche de Pau ont procédé à une perquisition au sein de la communauté Tabitha’s place, classée parmi les mouvements sectaires. Installée en Béarn depuis 1983. Ils ont interpellé deux responsables de la secte, qui sont depuis placés en garde à vue.
Une affaire complexe, qui se situe à la frontière des libertés individuelles et du droit
Aucun obstacle. Une opération qui intervient dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour abus de confiance, abus de vulnérabilité dans le cadre d’un groupement à connotation sectaire et mauvais traitements sur mineurs. Elle fait suite à la plainte déposée par une famille d’anciens membres au mois de mars 2005 (lire par ailleurs).
Les deux hommes devaient faire l’objet d’une prolongation de garde à vue. Un troisième, le comptable de la « communauté » devait se présenter hier soir aux gendarmes, il arrivait de Bruxelles. Les membres de la communauté n’ont pas fait obstacle aux militaires. Ils ont en effet ouvert coffres et livres de comptes. Impossible de dire s’il y aura ou non des mises en examens dans ce dossier. La décision est attendue aujourd’hui. Une affaire pour le moins complexe, puisqu’elle se situe à la frontière des libertés individuelles et du droit. Toute la difficulté est de caractériser la part de manipulation mentale quand le couple a abandonné ses biens à Tabitha’s place. Il s’agit en effet d’une des conditions pour en devenir membre.
Commission parlementaire. Le dossier Tabitha’s place est considéré comme sensible. Il y a un an, la communauté de Sus avait reçu la visite surprise de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes, afin de voir comment étaient traités les enfants. Toutefois, la justice, l’inspection d’académie et la Ddass ont travaillé de concert sur le non-respect de scolarisation et la non-vaccination des enfants. Des investigations qui n’ont conclu à aucun résultat.
Ils vivent aujourd’hui en Bretagne. Deux parents et quatre enfants. Ils ont passé six ans et demi au sein de la communauté Tabitha’s place, implantée depuis 1983 en Béarn. Alexandrine Barnaba, l’avocate de la famille « G », raconte comment ce cordonnier et cette professeure de musique sont entrés dans la secte.
Les ressorts sont classiques.
Des gens fragiles, en quête de spiritualité, dopés par le fait d’appartenir à une communauté jusqu’à s’y égarer. Cela commence lors d’une banale visite de salon de l’artisanat à Lyon, où la famille est installée. « Ils sont attirés par le côté artisanal et proche de la nature ».
La conversation embraye rapidement sur la Bible, érigée en règle de vie par Tabitha’s place. Enthousiastes, les G. repartent avec une carte de visite. On leur fait part d’un prochain salon à Grenoble. La famille y retourne. On les appelle « frères et soeurs », au père cordonnier, on explique que la communauté a besoin d’hommes de valeurs et qu’il pourrait y jouer un rôle important. Les G. sont ferrés et repartent avec une invitation à passer trois jours à Sus, pour voir. Ils feront le voyage courant 98.
L’accueil est chaleureux. On insiste sur le partage. Le père est emballé, il restera un jour de plus. Quant à la famille, elle se fait baptiser. Très vite, elle viendra s’installer en Béarn. Très vite, elle se pliera à la vie communautaire. Les hommes et les femmes sont séparés, les enfants sont élevés par la communauté, non plus par les parents. « L’identification au groupe annihile et remplace les valeurs morales antérieures. Ils se sont retrouvés dépossédés d’eux-mêmes et de leurs biens », explique l’avocate.
Se considérant comme libérés des contraintes matérielles, les G. cèdent leur appartement, leur maison et se plient à la vie à Sus : nourriture frugale, prière, châtiments corporels infligés aux enfants. Fin 2004, ils doivent se rendre à une réunion familiale, dans le Sud-Est de la France. À leur retour, ils seront mis en quarantaine. Une période au cours de laquelle ils commencent à ouvrir les yeux. Ils décideront de quitter la secte, en fuyant avec leurs quatre enfants (dont un est né pendant qu’ils vivaient à Sus). Les G. tentent aujourd’hui de se reconstruire. Ils ont toute une vie à réapprendre.