Des sourires couvrent le mystère à Tabitha’s Place. Des médecins ont examiné les 79 enfants de la secte où Raphaël est mort jeudi.

Par Pascale Nivelle

Pau envoyée spéciale

Dans la cour du château, un groupe d’enfants agitent la main en direction des visiteurs. Les petites filles portent des nattes et de longues jupes, les garçons une queue de cheval dans le dos, des pantalons de coton bouffants. Les petits sourient, un homme les entraîne doucement vers le bâtiment rond que les habitants de Sus ont appelé «le Temple». «Ils sont tous à moi et ils vont bien», lance l’homme aux longs cheveux et à la grande barbe. Il ressemble comme un frère à Huchaï, Jacob ou Haggaï, autres habitants du château. Comme eux, il sourit en permanence, fixe ses interlocuteurs droit dans les yeux, s’exprime calmement, doucement: «Vous serez juge pour toutes les paroles qui sortent de votre bouche», répondent-ils simplement à ceux qui s’étonnent de leur vie austère et repliée sur eux-mêmes. Dans les allées de Tabitha’s Place, siège français de l’Ordre apostolique, la vie quotidienne ressemble à une scène chez les Amish du film Witness. Les femmes, robes longues et sandales, s’affairent, des bambins à la main, un sourire plaqué sur le visage. Elles ne parlent pas. «L’homme est le chef de famille», explique un brun posté près de l’entrée, «la Bible explique que les femmes ont été créées en second». Aux visiteurs de passage, elles offrent le thé puis s’esquivent: «J’ai à faire aux cuisines.» Tract et pain complet. Ce matin, lundi, Patrice Lesieur, alias Huchaï, se dit «bien content». «Le procureur est venu avec ses collaborateurs, nous sommes heureux de lui ouvrir notre porte, contents que tout se sache enfin.» Jeudi dernier, le fils de Dagmar est mort à la ferme du Roi, l’annexe de la communauté à Angous, le village voisin. A 19 mois, Raphaël souffrait de la «maladie bleue». Il pesait 4 kilos et demi, son extrême maigreur a rappelé aux gendarmes «les films sur les camps». Dagmar n’a pas pleuré. Quand les gendarmes l’ont emmenée à Pau, elle souriait en lisant la Bible. Au juge qui les a mis en examen, elle et son mari Michel, pour «privation d’alimentation et de soin par ascendant légitime sur mineur de moins de 15 ans», Dagmar a donné des réponses mystiques, refusant tout explication sur l’état de santé de son fils. Elle a aussi, ce qui prouve une solide connaissance du droit français, exigé un débat sur l’opportunité de la détention, en présence d’un avocat. Michel Ginhoux, 36 ans, et Dagmar Zeller, 34 ans, sont depuis jeudi en prison.

Depuis, la sérénité de la communauté est affectée. Hier matin, à 8 heures, une quarantaine de gendarmes, une dizaine de médecins et le procureur Jean-Pierre Dreno se sont invités au château de Sus pour vérifier l’état de santé de tous les enfants, 80 environ, qui vivent dans la secte. Outre la mort de Raphaël, ils avaient été intrigués par un document que les Tabitha’s distribuent sur les marchés en même temps que leur pain complet. «Nous croyons en la discipline et la correction” Nous corrigeons nos enfants, mais nous ne les maltraitons pas car nous les aimons.» Convaincus au départ de trouver sur place des traces de sévices, les visiteurs n’ont constaté hier soir «aucun signe de violence ou de mauvais traitements», mais ils ont saisi des documents prônant les châtiments corporels. Les gendarmes poursuivent dans ce sens des investigations complémentaire, notamment des auditions de membres de la secte, considérée comme apocalyptique.

Processions sur les routes. A Sus, village du Béarn, on a cru hier matin le dernier jour de la «secte» arrivé. Une pétition, lancée l’an dernier par le maire, exhorte les élus locaux à intervenir dans cette secte «pseudo-chrétienne» qui a essaimé aux Etats-Unis, au Brésil, au Canada, en Espagne ou en Angleterre. «Encore une fois, on a attendu qu’il soit trop tard», assure Christian Piarroux-Cazala, voisin du château. Un agriculteur peste contre les «barbus». «J’en ai marre de leur bon Dieu.» Dans le village, Monique raconte des scènes de baptême dans le torrent, de longues processions le soir, le long des routes, «avec un nombre incroyable de jeunes enfants». «Ils ne sont pas dangereux», explique le maire François Comtoux-Carrère, «seulement inquiétants». D’où vient leur argent, comment élèvent-ils leurs enfants? Les adeptes de l’Ordre apostolique refusent les médecins et les enseignants de l’extérieur. En France, pourtant, le suivi médical et la scolarité des mineurs sont obligatoires. Tous ceux qui s’y soustraient sont privés d’allocations familiales. L’Ordre apostolique, ayant de toute façon décidé de vivre en dehors des règles de la société, refuse sereinement ces allocations. Pour les administrations, tout est donc en règle, jusqu’au jour où se pose un vrai problème.

Pascale Nivelle