Une secte est-elle invitée au Printemps des comédiens ?

Source: Le Midi Libre, 20 juin 2002 par Camille-Solveig FOL

[Texte intégral]

Les adeptes de “Tabitha’s place”, un ordre apostolique classé “secte” par les associations de défense des familles et les Renseignements généraux, sont-ils les invités du Printemps des comédiens ? Employés du “Common ground café”, société nomade de restauration installée dans les jardins du Château d’Ô, ils servent au quotidien les cinq à huit cents repas du festival.

Depuis deux jours, « ils sont devenus Le sujet journalistique du Printemps », s’exclame son directeur artistique, Daniel Bedos. La troupe ne tient pourtant « pas d’autre rôle sur place que faire la cuisine et servir les convives, dans les normes d’hygiène et de sécurité requises. Ils ont été choisis pour ça », se défend Daniel Bedos.

Au dernier festival d’Avignon, le directeur avait goûté aux plats du “Common ground”, et « vu le service et le rapport qualité-prix », il avait pensé à son Printemps. « D’autant que la prestation du dernier traiteur était déplorable : il insultait les étrangers qui venaient à sa table, servait des repas dégueulasses et se vantait de voter FN. » Alors, même si le look Petite maison dans la prairie des trente-cinq membres qui vivent et travaillent en couple et en famille sur la structure l’a « un peu surpris », Daniel Bedos confie : « Parmi les tribus qui viennent au Printemps, d’autres sont plus atypiques. »

Ceci dit, avant de s’engager, avec Jacques Atlan, conseiller général chargé du Printemps, le directeur artistique aurait « tout de même vérifié que la structure n’était pas classifiée comme secte, ni répertoriée dans le dernier rapport de l’Assemblée nationale ». Ni sur le net, ni sur le papier, la société n’est pointée… Mais c’est cet argument qui fait précisément frémir le président héraultais de l’Association de défense des familles et de l’individu (ADFI) de lutte contre les sectes : « Le “Common ground café” est lisiblement rattaché aux “Douze tribus”, mouvement apostolique qui refuse la scolarisation des enfants mais aussi l’état civil. » Vigilance exigée, « mais sans oublier que les adeptes sont aussi victimes ».
« Nous avons effectivement fait le choix d’une autre vie que la vôtre »
, reprend Olivier Lembert, le gérant du “Common” qui a rejoint, jeune homme avec son épouse, le château pyrénéen des “Douze tribus”, autre nom de “Tabitha’s place”. Rebaptisé Haggaï, il raconte d’une voix sage avoir eu dix enfants - « Ma femme est faite pour ça » -, et sa fille de 20 ans attend son second…

Enfants qui renvoient à l’histoire de ce bébé de “Tabitha’s place” mort à Sus (64) pour n’avoir pas reçu les soins à temps (1). « Une affaire privée, qui ne regarde que les parents », répond Haggaï en assurant qu’il ne refuserait jamais l’hospitalisation d’un des siens
« s’il y avait urgence »
.

Parmi les membres de la communauté dépêchés à Montpellier, se trouvent aussi une Japonaise et deux Brésiliennes, ralliées dans leur pays d’origine. Les “Douze tribus” possèdent en effet des domaines sur les cinq continents et chacune des communautés œuvre, travaille, produit et échange « à l’image d’une ruche », raconte Haggaï, évoquant l’étendue de leurs produits artisanaux : huile d’olive, vêtements en fibres naturelles, chaussures en cuir… Sans oublier la restauration rapide et le palais en kit imaginé et conçu par les Pyrénéens.

Ce chalet démontable sur deux étages et avec une mezzanine offre au Château d’Ô près de 300 m² de plancher et autant de terrasse, une chaîne de froid aux normes et des cuisines de cantine… Montée en trois jours et en famille, la bâtisse réglementaire s’adapte à la demande et selon le terrain :
« Le festival d’Avignon, depuis dix ans, et de plus en plusde concerts rock et rassemblements punk en Angleterre », confie un serveur. A Montpellier, ils ont ouvert encore plus la structure. « Ils sont efficaces, discrets, bosseurs, on n’entend pas les enfants et ils ne vendent rien d’autre qu’à manger », rappelle Daniel Bedos. Chacun étant à son ouvrage, l’entente serait facile. Il a d’ailleurs réussi à leur faire accepter de profiter de la licence du Printemps pour vendre du vin aux convives… Concession que le “Common ground café” a refusée par contre au roi des sodas.