La communauté a-t-elle fermé les yeux ?
Source: Sud Ouest, 21 mars 2001 par Jean-Paul Chaintrier
[Texte intégral]
La communauté de Sus doit-elle partager avec les deux accusés, les parents, la responsabilité du décès de Raphaël, 19 mois ? C’est le fond du débat du procès de Pau .
Depuis lundi, au palais de justice de Pau, la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques consacre sa fin de session à un procès exemplaire : celui d’un père et d’une mère dont un enfant en bas âge est mort, en avril 1997, au sein de la communauté de Sus (64), où le couple vivait avec ses deux fils et sa fille.
Raphaël souffrait d’une anomalie cardiaque dont ni ses parents ni leur environnement n’ont apprécié la gravité. Par négligence ? Peut-être. Surtout parce que la communauté en question répugne à faire appel à la médecine traditionnelle. Dans ce climat, les parents ont tellement temporisé pour prendre la décision énergique qui s’imposait, que leur petit garçon est mort faute de soins suffisants et d’alimentation adaptée.
Cela dit, les parents renvoyés en assises sont-ils seuls responsables de cette issue dramatique ? Le juge d’instruction s’était posé la question : il avait également mis en examen un responsable de la communauté et le père d’un de ses membres, médecin décédé en cours de procédure, deux personnes que la chambre d’accusation a fait bénéficier d’un non-lieu.
La cour d’assises a fait la même démarche intellectuelle que le juge en instruisant à l’audience, parallèlement au procès des parents, celui du groupe au sein duquel ils vivaient.
” NI APOCALYPTIQUE NI DANGEREUX “
Hier, c’est donc la communauté dans son ensemble qui a été sur la sellette au travers des témoins cités à la barre : ses gérants, une ancienne adepte, un psychiatre retraité spécialiste des groupes à caractère sectaire, une sociologue canadienne, professeur de religions à Montréal.
Se réclamant de l’Ordre apostolique Tabitha’s place, né dans le Vermont (USA), la communauté de Sus ou de la Ferme du roi, du nom de sa structure secondaire d’Angous, est-elle une secte ? Répertoriée comme secte apocalyptique par une première commission parlementaire, elle ne figure plus dans le rapport d’une seconde.(1)
L’un des gérants de la SARL qui la gère, Olivier Lembert, ne récuse pourtant pas le terme de secte, sauf dans sa connotation péjorative : ” Nous sommes considérés comme un groupe de cinquante à deux cents personnes ni apocalyptique, ni dangereux “, préfère-t-il constater.
Cela dit, le groupe de Sus n’est pas dans la norme, c’est clair. Ses membres ont tous refusé de prêter serment à la barre parce que certains passages de la Bible le leur interdisent. Ils refusent de scolariser leurs enfants, estimant que le monde extérieur est un danger pour leur éducation; leur assurent eux-mêmes un enseignement basé sur la Bible; refusent les vaccinations; pratiquent le châtiment corporel en corrigeant les enfants désobéissants à coups de baguettes souples sur les doigts. ” Choisir un mode de vie pour soi, oui, l’imposer à des enfants, c’est une autre question “, a déclaré l’ancienne directrice de la Solidarité départementale, des Pyrénées-Atlantiques, citée comme témoin, en mettant l’accent sur les deux logiques qui s’affrontent à Sus : des principes autoritaires anachroniques dans une vie hors du temps et le niveau scolaire relativement bas des enfants.
LE CARNET DE SANTE MEPRISE
Sur le plan médical, ce sont les méthodes dites naturelles qui sont privilégiées. Le carnet de santé est un document méprisé et le médecin de famille inconnu : ” Dans la réflexion de la communauté, tout est basé sur la foi, la prière et la confiance en Dieu “, a témoigné l’ancienne adepte citée à la barre. Dans ce contexte, ni Michel Ginhoux ni son épouse Dagmar, d’origine allemande, n’ont apprécié l’état de leur enfant pourtant réduit à l’état de cadavre ambulant : ” Une image de camp de concentration “, a dit le médecin légiste, très ému. De leur côté, les responsables de la communauté, qui côtoyaient les Ginhoux, n’ont rien fait pour exhorter le couple à faire quelque chose, c’était contraire à leurs principes : ” Chaque famille a la liberté totale de décision; les tiers peuvent les conseiller mais n’interfèrent pas. “
Le président Tignol a tiqué : ” Je suis surpris que dans une communauté comme la vôtre ce soit chacun pour soi et Dieu pour tous; ainsi, personne n’a rien vu, personne ne s’est senti concerné par le sort de cet enfant, alors que tout le monde savait qu’il n’était pas en bonne santé ? “
Les jurés, particulièrement attentifs, posent des questions comme rarement en posent des jurés d’assises. Et des bonnes : ” Dans votre communauté tout est organisé strictement, mais vous ne gérez pas le problème de la santé “, s’est étonné l’un d’eux. Il n’est sans doute pas le seul à s’interroger sur le comportement du groupe et sur celui des deux accusés qui ont eu une fille depuis la disparition de leur fils : Rachel, 18 mois, dont le suivi médical n’est pas plus assuré que celui de son défunt petit frère… Comme si la mort de ce dernier n’avait pas servi de leçon.
Le repentir de Michel Ginhoux (” Je ne me suis pas rendu compte que Raphaël allait mourir, j’ai manqué de sagesse, j’en suis désolé “) prend alors une tonalité de couac.
(1) Note : La seconde commission parlementaire a donné une liste de sectes auxquelles elle s’est interessée. le fait pour une secte de ne pas figurer sur cette liste ne veut pas dire qu’elle n’est plus considérée comme telle – Mathieu Ph Cossu.