A Sus (Pyrénées-Atlantiques), les enfants sont menés à la baguette

(Source: BULLES du 4ème trimestre 1991)
 

 

Dans le château délabré de Sus – un village de quelque trois cents habitants situé près de Navarrenx (Pyrénées-Atlantiques) – est installé une étrange communauté qui s’intitule Tabitha’s Place. Elle se compose d’une centaine d’adultes et d’environ soixante-cinq enfants pour qui la vie n’est pas rose…

 Qui sont-ils et qui sont leurs parents ? Et quel est cette communauté ? Dès qu’on l’approche, il s’avère rapidement que l’on est bel et bien en présence d’une secte inquiétante.
 


 

Une secte inquiétante

Il faut savoir que Tabitha’s Place n’est que la filiale d’une secte américaine qui s’est également implantée au Canada, au Brésil et en Nouvelle Zélande. Son fondateur, Elbert Eugen Spriggs, est né en 1937 dans le Tenessee. Ancien “aboyeur” de fête foraine, il a d’abord fondé un centre de réadaptation pour drogués. Il s’est ensuite installé dans la petite ville d’Island pond dans l’Etat de Vermont à la tête d’une communauté qui prit le nom de Northeast Kingdom Community. Elle comptait quatre cent personnes en 1984.

Le groupe a attiré l’attention par sa manière de traiter les enfants. Selon lui, il faut des battre dès le plus jeune âge pour discipliner leur “nature échue”. Ne pas le faire, c’est préparer des adultes pécheurs et criminels. Le 22 juin 1984, les autorités de l’Etat de Vermont ont emmené et gardé quelques heures cent-douze enfants du groupe afin de les examiner pour déceler éventuellement des traces de violence physique ou psychologique (d’anciens adeptes en avaient témoigné). Toutefois, le juge estima que cette action était illégale et il fit remettre les enfants à la communauté.
 

 

La vie de château

Spriggs séjourne souvent à Sus avec son épouse Marsha Ann Duval, née en Californie en 1950. Là, en vertu d’une interprétation fondamentaliste de la Bible, le groupe entend vivre “comme le faisait Jésus quand il était juif”… I; fabrique du pain et d’autres produits de boulangerie qu’il vend sur place et sur les marchés. Il effectue des travaux de bâtiment et de menuiserie et cultive le jardin attenant au château.

Depuis 1990, il fabrique des meubles et de la literie sous le nom de “Futon Pyrénées” qu’il vend dans un magasin d’Oloron et expose sur de nombreuses foires en France et à l’étranger. Deux personnes seulement sont déclarées à la Chambre des Métiers de Pau pour toutes ces activités. La communauté – adultes et enfants – constitue une main d’oeuvre gratuite. Au début de l’année 1991, le groupe a fait l’acquisition d’une propriété de onze hectares à Angous, village situé à quatre kilomètres de Sus. Pendant l’été, il a fabriqué et vendu des “tipis” (tentes façon indienne) à un camp de vacances des environs.
 

 

Il est interdit de jouer !

Comme nous l’avons dit plus haut, la communauté abrite soixante-cinq enfants. Leurs parents sont originaires de divers pays : Algérie, Allemagne, Canada, Espagne, Etats-Unis, France, Honduras, Japon. La langue commune est l’anglais en raison de l’origine américaine de la secte.

L’instruction est faite sur place par des membres de l’organisation. Les livres sont rédigés et confectionnés dans la communauté. A la question : “Pourquoi ne mettez-vous pas les enfants à l’école du village ?”, il est toujours répondu : “Parce que nous ne voulons pas qu’ils soient contaminés”.

A une autre question sur l’éventualité du départ d’un adolescent qui ne serait pas d’accord avec l’éducation et la religion de la communauté, il est simplement répondu : “Ce n’est pas possible”.

Les enfants travaillent durement : levés à 6 heures du matin, ils reçoivent un enseignement (teaching) ardu pendant toute la matinée. Ils travaillent l’après-midi avec leurs parents : par exemple, une fillette de 12 ans fait de la soudure à la perfection, d’autres font du jardinage ou des travaux du bâtiment. Ils n’ont pas le droit de jouer, sauf un peu de foot-ball le samedi matin. Les jouets sont oeuvre du diable, il faut les jeter. Un filet, de style parcours du combattant, est destiné au “training physique”.

Les punitions physiques sont réglementées et graduées : certains jeunes garçons sont chargés de rapporter aux adultes les “mauvaises habitudes”, ce qui entraîne la “discipline”. Le premier degré de cette “discipline” consiste en plusieurs coups de baguette d’osier sur la paume des mains. Le second degré s’appelait la paleete : nu, on était frappé sur les fesses avec une règle plate ; il a été abandonné car il laissait des marques et “si des services sociaux contrôlaient les enfants, car ils ne comprendraient pas”.

Pour le troisième degré, on est frappé avec une règle plate sur la plante des pieds. Un Allemand d’une vingtaine d’années prend plaisir à frapper ; il s’agirait d’un pédophile refoulé qui donne aussi des cours de musique et s’appelle Uriah Geber (nom hébreu).
 

 

Une éducation très surveillée

Les enfants sont toujours surveillés, conditionnés par la crainte de la “discipline”. Ils sont culpabilisés et n’ont pas le droit de dire à qui ce soit ce soit qu’il la subissent.

Toute personne entrant dans la communauté reçoit un nom et un prénom hébreu ; les enfants ne connaissent pas leurs nom et prénom de l’état-civil.

L’Education nationale considère la scolarisation des enfants comme “instruction dans la famille”. De ce fait, les inspections réglementaires sont effectuées par un inspecteur départemental accompagné d’un psychologue scolaire, tous deux venant d’Oloron-Sainte-Marie. Les inspections ne sont pas faites à l’improviste : la secte est prévenue ainsi que le maire du village et l’accueil est évidemment bon. L’inspection porte sur deux matières exclusivement : le français et le calcul.

Lors des premières inspections, en 1985 ou 1986, les enfants dans leur majorité ne connaissaient pas le français ; la critique ayant été faite aux responsables, l’année suivante la connaissance du français s’est améliorée et a continué de progresser lors des années ultérieures. Maintenant, les enfants sont bilingues. Leur niveau est comparable au niveau moyen d’enfants instruits dans leur famille, mais bien inférieur à celui d’enfants scolarisés à l’école.

NB : Tous les faits cités proviennent de témoignages d’adeptes ou d’anciens adeptes, et d’observations directes faites par nous-mêmes.