Secrets de famille – 14 decembre 2013

 

Source: Article en anglais: Secrets of the family

The Sydney Morning Herald

Nouvelles Gales du Sud, Australie

14 décembre 2013

 

Secrets de famille

par Tim Elliott

 

Paix, amour et emprise – le séjour d’un couple de Sydney au sein de la secte religieuse des Douze Tribus (en France Tabitha’s Place)

 

Une vidéo de l’interview avec la légende :

Survivre à une secte religieuse

 

Contrôle de la pensée et chatiment corporel brutal furent parmi les choses que Rose-Marie Ilich et sa famille ont vécu à l’intérieur d’une secte religieuse.

 

Un samedi d’octobre 1996, Mark Ilich et sa femme Rose-Marie firent une chose qu’ils devaient regretter tout le reste de leur vie. Ils participèrent au festival de Newtown. C’était un beau jour de printemps et le festival, dans l’ouest de la ville de Sydney, « bouillonnait » de musique et de gens. Avec leur fille Undila qui avait six ans et leur fils de trois ans Abraham, Mark et Rose-Marie flânaient puis ils s’assirent sur la pelouse, en face du podium ou se deroulaient differents spectacles.

 

Mark, aujourd’hui âgé de 53 ans est originaire de Nouvelle-Zélande mais est arrivé en Australie en 1984. Vitrier et musicien professionnel, son optimisme est contagieux et son amitié compulsive. Rose est plus réservée mais extrêmement curieuse. Elle a grandi en Espagne et à Paris et parle plusieurs langues. Elle se décrit comme « idéaliste ». « Nous avons toujours été intéressés par un retour aux sources, un mode de vie plus naturel, plus durable, apportant plus de plénitude », me dit Rose.

 

En ce jour de 1996, cependant, le couple était à la croisée des chemins. Ils revenaient juste d’un séjour de deux ans en Espagne où ils s’étaient battus pour trouver du travail. Ils étaient alors de retour à Sydney, vivant dans un appartement, a Coogee, appartenant au frère de Mark. « Nous n’étions pas exactement désespérés mais nous etions en cours de retrouver reperes et stabilitee » dit Rose. « Nous étions avides de nous faire des amis, d’avoir une vie sociale stable. J’etais arrivee à la conclusion que peu m’importait qui étaient les gens, Je voulais juste les prendre comme ils étaient. »

 

 

Le couple de Sydney, Rosemary Ilich (Rose Ilich) et Mark Ilich qui ont passé 14 années au sein du mouvement religieux des Douze Tribus Photo Tim Bauer

Après un moment sur l’herbe, Mark se releva pour marcher un peu. Une demi-heure plus tard il revint tenant une brochure intitulée « Une Fraternité Humaine ». Une femme amicale en robe longue, avec de longs cheveux la lui avait donnée en disant : « Vous semblez avoir besoin d’un foyer »

 

La brochure était produite par un groupe se nommant Les Douze Tribus. Celle-ci posait la question : « Où est la Fraternité Humaine que John Lennon a imaginé dans sa chanson » ? « Où sont les rêveurs qui ont donné tous leurs biens pour que l’avarice et la faim puissent être éradiquées ?

 

La brochure mentionnait Jésus, « le rêveur suprême », auquel elle se référait par son nom hébreu, Yahshua; elle citait aussi la Bible. Mais elle rejetait le Christianisme dominant, le dénonçant comme « la prostituée dont il est question dans l’Apocalypse ».

 

 

De droite à gauche : Abraham, Lebana, Mark, Rose et Undila Ilich à Katoomba en 2001

 

Tout ceci séduisait la famille Ilich. « J’ai toujours condamné l’église dominante », dit Rose. « Nous avions aussi visité quelques communautés en Europe. Je dis à Mark : « Si ces gens sont ce qu’ils déclarent être, ce pourrait être la communauté que nous cherchons » ».

 

Quelques jours plus tard, Rose appela le numéro figurant sur la brochure et parla à une femme nommée Shomrah, qui l’invita à rendre visite au groupe à la ferme de Peppercom Creek, une propriété que le groupe possède près de Picton au sud-est de Sydney.

 

 

Au cours d’une retraite … la famille Ilich cachée à Leura en 2002, pendant une visite de la famille de Rose.

 

Les Ilich prirent la route ce vendredi, arrivant à 19 heures, à temps pour le rassemblement du soir. Ils furent accueillis par un homme avec une longue barbe appelé Asher. (Le vrai nom d’Asher était Andrew McLeod, mais comme tous les membres des Douze Tribus il avait, en rejoignant la communauté, été doté d’un nom hébreu). Asher les conduisit à une pièce pour les hôtes dans le corps de ferme principal où ils laissèrent leurs sacs. Il les conduisit ensuite à une grande tente pleine de gens habillés en vêtements simples. Il y avait des salons et des chaises et tables, ces dernières décorées de fleurs et chandelles. Il y avait de la musique également, un piano et un accordéon, et de la belle nourriture faite maison.

 

« Je me souviens que chacun était super-intéressé par nous, » dit Mark. « Il y avait un gars appelé Yotham, qui est resté avec nous toute la nuit et qui me disait : «  Je t’aime vraiment bien, tu sembles vraiment être un bon gars ». C’était comme si, en un instant, nous faisions partie d’une famille. ».

 

Mark, Rose et les enfants restèrent cette nuit là, le jour suivant et la nuit suivante. Au matin ils refirent route vers Coogee, se changèrent et allèrent au Glebe Street Fair, où les Douze Tribus avait un café semblable à celui de Newtown. Yotham était là avec quelques musiciens. Des membres du groupe dansaient et invitèrent Mark et Rose à danser également. « Nous sommes une famille et vous pouvez en faire partie » dit Yotham à Rose quand ils tournoyaient sous le soleil. « Nous pouvons voir nos cheveux grisonner ensemble, nos enfants se marieront entre eux ».

 

 

A propos de la secte … Eugene Spriggs, connu également sous le nom de Yoneg, le fondateur américain des Douze Tirbus

 

Rose et Mark étaient conquis.

 

Une des premières choses que firent les Ilich fut de retourner à leur appartement de Coogee, accompagnés par un des « Anciens » de la communauté, un homme nommé Israel. Israel leur dit quoi garder et quoi jeter. La plupart de leurs biens – les vêtements des enfants, la planche de surf de Mark, les livres, les jouets – avaient un « esprit » sur eux et étaient considérés comme inadecuats. Les Ilich avaient une petite voiture qu’ils donnèrent à la communauté et un peu d’argent à la banque dont ils se défirent également.

 

En janvier 1997 ils furent baptisés, ou « lavés de leurs péchés », dans le ruisseau qui court derrière la ferme, et dotés de leurs nouveaux noms : Mark devint Qatan (« semblable à un enfant » en hébreu) ; Rose devint Asarelah (ce qui signifie « vertueuse »). Il y avait environ 70 personnes dans la communauté, réparties en à peu près une douzaine de familles, certaines de deuxième génération. « C’est une des choses qui m’attira » dit Rose. « Je pensais : bon, ces gens ont grandi ici et ont décidé de rester, donc ce doit être bien ».

 

 

Nous sommes une famille … le frère et la sœur de Rose, Cathy et Henri Cruzado, à Sydney avec un opposant à la secte Raphael Aron en 2002

 

Le groupe des Douze Tribus a été fondé en 1972, à Chattanooga, Tennessee, par un ancien conseiller d’orientation de lycée qui était aussi showman de carnaval appelé Eugene Spriggs, connu dans le mouvement comme Yoneq. Le groupe a 3000 membres dans le monde, avec des communautés aux USA, au Canada, en France, en Espagne, en Argentine, au Brésil, en Allemagne et en Grande-Bretagne. La « tribu » australienne a été créée au début des années 1990 par un américain, Scott Sczarnecki (qui a quitté la communauté depuis) et William Nunally, ou Nun (prononcer Noun), un autre américain qui reste une figure majeure de Peppercom Creek Farm.

Suivant un hybride de Judaïsme et de Christianisme, le but du groupe est de recréer les 12 tribus d’Israël, marquant ainsi le début du retour de Yahshua, qui arrivera comme un « Roi venant vers son épouse quand elle est pleinement préparée pour lui ». Les membres utilisent l’Ancien Testament comme un projet de vie. L’insistance sur la vie communautaire, le travail pénible et, plus controversé, la discipline sévère envers les enfants, sont calqués sur la vie dans la « première église de Jérusalem » avant l’arrivée du clergé dont le groupe a horreur. Le mariage en dehors des Tribus est interdit, les Anciens et même Yoneq lui-même agissent comme entremetteurs.

 

Le groupe a été compare avec les Amish, avec lesquels il partage quelques similitudes, particulièrement en ce qui concerne le mariage et les nouvelles technologies. Les femmes doivent être soumises à leurs maris et sont encouragées à avoir au moins 7 enfants. Les préservatifs et la pilule sont interdits. Les soins médicaux classiques sont comme fuis, une chose que des observateurs ont relié à ce qui apparaît être un taux anormalement haut d’enfants mort-nés. (Rose a eu un enfant mort-né en 2001 et dit qu’elle a eu connaissance de 5 enfants mort-nés pendant qu’elle était à Picton).

 

On y entre … La famille Ilich à Galston, Sydney, en 2007

 

La vie en communauté est strictement règlementée. Les membres se lèvent à 6 heures du matin (sauf le samedi – Sabbat – où ils se lèvent à 7 heures), réveillés au son du « shofar », ou corne de bélier. Il y a un rassemblement matinal ou « minchah », à 7 heures, qui comprend prières et chants, suivi par le travail à la ferme, la cuisine ou aux champs. (Un des premiers jobs de Mark fut de s’occuper d’un troupeau de 30 moutons mérinos). La communauté développe également beaucoup d’affaires dont des boulangeries, des cafés, des équipes de peinture ou de démolition de maisons auxquelles Mark, et plus tard son fils Abraham, se sont trouvés eux-mêmes affectés. Les enfants, pendant ce temps, sont scolarisés à la maison en utilisant des textes « approuvés », imprimés sur place.

Il n’y a ni TV, ni internet, ni journaux, ni magazines, ni radio. Les membres sont découragés de contacter d’anciens amis ou leur famille et ne votent pas.

 

Mark et Rose n’étaient pas particulièrement religieux, mais ils étaient impressionnés par l’engagement du groupe et le sens de la ferme comme « étant une grande famille ». Rose dit : « Un de leurs enseignements est de « prendre conseil en commun » ce qui signifie que chacun est ecoute ».

 

Très tôt, on a assigné à Mark et Rose – à chacun – un « Berger », un membre confirmé dont l’approche spirituelle le plaçait comme un mentor. « Mon berger était une femme appelée Bakhirah », nous dit Rose. « Si j’avais un quelconque problème dans mon couple, une quelconque préoccupation ou gêne, je devais aller vers elle et me confier à elle ».

 

 

On y reste … Erez et Undila en 2010, au moment de leur mariage

 

Et il y avait une quantité de choses au sujet desquelles s’ouvrir. Les enseignements, certains venant de la Bible, d’autres de Yoneq lui-même, soulignaient la profonde injustice du monde extérieur, un endroit sombre dans lequel la seule lumière est sa propre conscience. Manquer à sa conscience, conduit inévitablement à être relégué au « Lac de Feu ». Les membres sont incités à « renouveler leur esprit » – une phrase de l’apôtre Pierre – et à être « un livre ouvert face à leurs frères », « partageant » toujours leurs péchés, soit avec les dirigeants, les « bergers », soit aux rassemblements.

 

Les péchés des Ilich étaient nombreux. Rose, par exemple, avait couché avec des hommes avant d’être mariée ; elle s’était aussi « rebellée » contre sa mère. Mark, de son côté, avait joué de la batterie dans un groupe rock (« j’avais un démon du tambour, apparemment », dit-il). Il avait aussi fait du surf et fumé de la marijuana. « Ils formulent une exigence élevée », nous dit Rose. « C’est tout ce que vous entendez, tout le temps, et donc vous commencez à vous juger vous-même à l’aune de cette exigence. Votre pensée devient très « blanc ou noir ». Au même moment, ils se présentent comme la seule voie pour obéir sincèrement à Dieu, dont ils incarnent l’esprit. Donc si vous n’êtes pas d’accord avec les dirigeants, ou votre « berger », vous êtes en désaccord avec Dieu lui-même.

 

La pression pour se confesser était considérable. Si un seul membre cachait quelque chose, Dieu ne pouvait répondre aux prières de qui que ce soit ce jour là. Et donc, Rose voulait quotidiennement « récurer » son esprit de toute trace de péché. « A la fin vous manquez de quoi confesser et votre cerveau invente des problemes » Elle commença également à surveiller la conduite de Mark. « Ils me disaient que Mark était vain parce qu’il avait cherché l’attention des autres et valeur personnelle dans des choses qui ne sont rien en elles memes, comme faire de la musique. Dans le passé je pensais que sa musique était belle, maintenant je commençais à considérer que c’était un signe de faiblesse. »

 

 

Une vie différente … Rose Ilich aujourd’hui, plus heureuse loin des Douze Tribus. Photo Tim Bauer, Coiffure et maquillage : Wayne Chick

 

Rose fut prise de soupçons à l’égard de Mark, pensant qu’il était « empli de péchés qu’il ne confessait pas ». A la fin, à chaque rassemblement, ayant confessé leurs transgressions « comme un agneau devant Dieu », le groupe joignait les mains et s’engageait dans une séance de cris qui durait plusieurs minutes. « A ce moment là, cela semblait thérapeutique » nous dit-elle.

 

Mark et Rose étaient sous l’emprise des enseignements du groupe tirés de la Bible. En fait, la majorité viennent du fondateur du groupe : Spriggs est un personnage mystérieux, ancien joueur de football, boxeur et soldat, un évangéliste charismatique que son rejet, dans les années 70, de la « religion établie » rendit populaire dans le courant « d’engouement pour Jésus » de la contre-culture. Bien qu’initialement défini comme appliquant une politique d’ouverture – il n’y avait aucun « leader », chacun était un « prêtre » – son mouvement était devenu de plus en plus fondamentaliste et autoritaire.

 

« Spriggs se considérait comme le prophète (mot-à-mot celui qui a été oint), avec une connection directe avec Dieu », dit David Pike, un ex-membre du groupe des Tribus de Manasseh, aux USA. « Il se présente comme plein d’amour mais il est l’image parfaite du leader religieux narcissique. Une chose dont je me souviendrai toujours est ce qu’il avait l’habitude d’appeler « contrôle d’attitude », quand il venait derrière un disciple mâle, lui tapait dans le dos aussi fort qu’il pouvait pour voir la réaction de la personne, si il grimaçait ou sautait ou s’il levait ses poings. Je haïssais cette façon de faire. »

 

Spriggs est considéré comme vivant à Hiddenite, en Caroline du nord, dans un hôtel particulier d’avant la Guerre d’Indépendance que le groupe a acheté en 2006. Mais il voyage beaucoup, volant d’une communauté à l’autre, chacun de ses propos transcris en « Enseignements » (ou « l’onction ») qui sont publiés dans les Intertribal News, la newsletter « maison » du mouvement.

 

Les enseignements de Spriggs, dont certains sont cachés aux membres jusqu’à ce qu’ils soient considérés comme aptes à les « recevoir », sont souvent bizarres. Il a dit que « la soumission aux blancs est la seule voie de salut pour les noirs » et que Martin Luther King était « totalement démoniaque ». (Le groupe dénie à ceci tout caractère raciste, soulignant qu’ils ont d’éminents membres noirs en Amérique).

 

Les enseignements sont également des prescriptions minutieuses, controlant chaque aspect de la vie des membres. Spriggs insiste sur le fait que les hommes doivent porter la barbe puisque ce sont les Romains qui ont commencé à se raser. Il interdit les montres-bracelets qu’il considère comme une vanité  et il a décrété que tous les membres devaient manger avec des baguettes pour accélérer le développement du groupe en Asie. Le régime est strictement régulé : pas de sucre, de chocolat, de café ou de thé, mais à volonté des graines de lin, des grains complets et du millet, ainsi qu’une insistance particulière sur des nourritures liées à des cultures comme le yoghourt et le kombucha. « A un moment, le piment était interdit, » nous dit Rose, « puis il a été autorisé de nouveau ».

 

On apprend à tous les membres des Douze tribus à finir leur douche en se rinçant à l’eau froide, qui selon Spriggs favorise la production de globules blancs. Quand Rose demanda à son berger : froid comment ? , il lui fut répondu : « Très froid, même en hiver, pendant une à deux minutes. Si je tempérais avec du chaud, j’autorisais ma chair à être plus forte que moi ».

 

Michael Painter, qui a passé 18 ans dans les tribus aux USA et s’éleva au troisième rang de la hiérarchie a décrit l’approche de Spriggs comme « dents, cheveux et globes oculaires ». « Il était dit que si dieu ne contrôle pas vos dents, vos cheveux et vos yeux, en verite vous ne lui appartenez pas .».

 

Mais les plus stricts enseignements de Spriggs concernent l’éducation des enfants. Les enfants ont une place spéciale dans l’eschatologie des Douze Tribus, qui considère que Yahshua ne peut revenir que si Dieu a, à travers le mouvement, sélectionné 144 000 parfaits enfants mâles, « si purs que le feu sort de leurs bouches ». Elever des rejetons obéissants est donc impératif. Les enfants doivent, à tout instant, être « couverts », une expression des Douze tribus qui signifie « supervisés par un adulte ». Ils ne doivent pas jouer (jouer c’est se disperser). Ils ne doivent pas avoir de jouets. Ils ne doivent pas siffler. Ils ne doivent pas s’engager dans l’illusion ou l’imagination, ou posséder des livres qui anthropomorphisent la nature, décrivant, par exemple, un chien qui parle ou un soleil qui sourit. « A Picton, lesArticle en anglais sur:

http://www.smh.com.au/nsw/secrets-of-the-family-20131209-2z00t.html

 

The Sydney Morning Herald

New South Wales

14 décembre 2013

 

Secrets de famille

par Tim Elliott

 

Paix, amour et emprise – le séjour d’un couple de Sydney au sein de la secte religieuse des Douze Tribus (en France Tabitha’s Place)

 

Une vidéo de l’interview avec la légende :

Survivre à une secte religieuse

 

Contrôle de la pensée et chatiment corporel brutal furent parmi les choses que Rose-Marie Ilich et sa famille ont vécu à l’intérieur d’une secte religieuse.

 

Un samedi d’octobre 1996, Mark Ilich et sa femme Rose-Marie firent une chose qu’ils devaient regretter tout le reste de leur vie. Ils participèrent au festival de Newtown. C’était un beau jour de printemps et le festival, dans l’ouest de la ville de Sydney, « bouillonnait » de musique et de gens. Avec leur fille Undila qui avait six ans et leur fils de trois ans Abraham, Mark et Rose-Marie flânaient puis ils s’assirent sur la pelouse, en face du podium ou se deroulaient differents spectacles.

 

Mark, aujourd’hui âgé de 53 ans est originaire de Nouvelle-Zélande mais est arrivé en Australie en 1984. Vitrier et musicien professionnel, son optimisme est contagieux et son amitié compulsive. Rose est plus réservée mais extrêmement curieuse. Elle a grandi en Espagne et à Paris et parle plusieurs langues. Elle se décrit comme « idéaliste ». « Nous avons toujours été intéressés par un retour aux sources, un mode de vie plus naturel, plus durable, apportant plus de plénitude », me dit Rose.

 

En ce jour de 1996, cependant, le couple était à la croisée des chemins. Ils revenaient juste d’un séjour de deux ans en Espagne où ils s’étaient battus pour trouver du travail. Ils étaient alors de retour à Sydney, vivant dans un appartement, a Coogee, appartenant au frère de Mark. « Nous n’étions pas exactement désespérés mais nous etions en cours de retrouver reperes et stabilitee » dit Rose. « Nous étions avides de nous faire des amis, d’avoir une vie sociale stable. J’etais arrivee à la conclusion que peu m’importait qui étaient les gens, Je voulais juste les prendre comme ils étaient. »

 

 

Le couple de Sydney, Rosemary Ilich (Rose Ilich) et Mark Ilich qui ont passé 14 années au sein du mouvement religieux des Douze Tribus Photo Tim Bauer

Après un moment sur l’herbe, Mark se releva pour marcher un peu. Une demi-heure plus tard il revint tenant une brochure intitulée « Une Fraternité Humaine ». Une femme amicale en robe longue, avec de longs cheveux la lui avait donnée en disant : « Vous semblez avoir besoin d’un foyer »

 

La brochure était produite par un groupe se nommant Les Douze Tribus. Celle-ci posait la question : « Où est la Fraternité Humaine que John Lennon a imaginé dans sa chanson » ? « Où sont les rêveurs qui ont donné tous leurs biens pour que l’avarice et la faim puissent être éradiquées ?

 

La brochure mentionnait Jésus, « le rêveur suprême », auquel elle se référait par son nom hébreu, Yahshua; elle citait aussi la Bible. Mais elle rejetait le Christianisme dominant, le dénonçant comme « la prostituée dont il est question dans l’Apocalypse ».

 

 

De droite à gauche : Abraham, Lebana, Mark, Rose et Undila Ilich à Katoomba en 2001

 

Tout ceci séduisait la famille Ilich. « J’ai toujours condamné l’église dominante », dit Rose. « Nous avions aussi visité quelques communautés en Europe. Je dis à Mark : « Si ces gens sont ce qu’ils déclarent être, ce pourrait être la communauté que nous cherchons » ».

 

Quelques jours plus tard, Rose appela le numéro figurant sur la brochure et parla à une femme nommée Shomrah, qui l’invita à rendre visite au groupe à la ferme de Peppercom Creek, une propriété que le groupe possède près de Picton au sud-est de Sydney.

 

 

Au cours d’une retraite … la famille Ilich cachée à Leura en 2002, pendant une visite de la famille de Rose.

 

Les Ilich prirent la route ce vendredi, arrivant à 19 heures, à temps pour le rassemblement du soir. Ils furent accueillis par un homme avec une longue barbe appelé Asher. (Le vrai nom d’Asher était Andrew McLeod, mais comme tous les membres des Douze Tribus il avait, en rejoignant la communauté, été doté d’un nom hébreu). Asher les conduisit à une pièce pour les hôtes dans le corps de ferme principal où ils laissèrent leurs sacs. Il les conduisit ensuite à une grande tente pleine de gens habillés en vêtements simples. Il y avait des salons et des chaises et tables, ces dernières décorées de fleurs et chandelles. Il y avait de la musique également, un piano et un accordéon, et de la belle nourriture faite maison.

 

« Je me souviens que chacun était super-intéressé par nous, » dit Mark. « Il y avait un gars appelé Yotham, qui est resté avec nous toute la nuit et qui me disait : «  Je t’aime vraiment bien, tu sembles vraiment être un bon gars ». C’était comme si, en un instant, nous faisions partie d’une famille. ».

 

Mark, Rose et les enfants restèrent cette nuit là, le jour suivant et la nuit suivante. Au matin ils refirent route vers Coogee, se changèrent et allèrent au Glebe Street Fair, où les Douze Tribus avait un café semblable à celui de Newtown. Yotham était là avec quelques musiciens. Des membres du groupe dansaient et invitèrent Mark et Rose à danser également. « Nous sommes une famille et vous pouvez en faire partie » dit Yotham à Rose quand ils tournoyaient sous le soleil. « Nous pouvons voir nos cheveux grisonner ensemble, nos enfants se marieront entre eux ».

 

 

A propos de la secte … Eugene Spriggs, connu également sous le nom de Yoneg, le fondateur américain des Douze Tirbus

 

Rose et Mark étaient conquis.

 

Une des premières choses que firent les Ilich fut de retourner à leur appartement de Coogee, accompagnés par un des « Anciens » de la communauté, un homme nommé Israel. Israel leur dit quoi garder et quoi jeter. La plupart de leurs biens – les vêtements des enfants, la planche de surf de Mark, les livres, les jouets – avaient un « esprit » sur eux et étaient considérés comme inadecuats. Les Ilich avaient une petite voiture qu’ils donnèrent à la communauté et un peu d’argent à la banque dont ils se défirent également.

 

En janvier 1997 ils furent baptisés, ou « lavés de leurs péchés », dans le ruisseau qui court derrière la ferme, et dotés de leurs nouveaux noms : Mark devint Qatan (« semblable à un enfant » en hébreu) ; Rose devint Asarelah (ce qui signifie « vertueuse »). Il y avait environ 70 personnes dans la communauté, réparties en à peu près une douzaine de familles, certaines de deuxième génération. « C’est une des choses qui m’attira » dit Rose. « Je pensais : bon, ces gens ont grandi ici et ont décidé de rester, donc ce doit être bien ».

 

 

Nous sommes une famille … le frère et la sœur de Rose, Cathy et Henri Cruzado, à Sydney avec un opposant à la secte Raphael Aron en 2002

 

Le groupe des Douze Tribus a été fondé en 1972, à Chattanooga, Tennessee, par un ancien conseiller d’orientation de lycée qui était aussi showman de carnaval appelé Eugene Spriggs, connu dans le mouvement comme Yoneq. Le groupe a 3000 membres dans le monde, avec des communautés aux USA, au Canada, en France, en Espagne, en Argentine, au Brésil, en Allemagne et en Grande-Bretagne. La « tribu » australienne a été créée au début des années 1990 par un américain, Scott Sczarnecki (qui a quitté la communauté depuis) et William Nunally, ou Nun (prononcer Noun), un autre américain qui reste une figure majeure de Peppercom Creek Farm.

Suivant un hybride de Judaïsme et de Christianisme, le but du groupe est de recréer les 12 tribus d’Israël, marquant ainsi le début du retour de Yahshua, qui arrivera comme un « Roi venant vers son épouse quand elle est pleinement préparée pour lui ». Les membres utilisent l’Ancien Testament comme un projet de vie. L’insistance sur la vie communautaire, le travail pénible et, plus controversé, la discipline sévère envers les enfants, sont calqués sur la vie dans la « première église de Jérusalem » avant l’arrivée du clergé dont le groupe a horreur. Le mariage en dehors des Tribus est interdit, les Anciens et même Yoneq lui-même agissent comme entremetteurs.

 

Le groupe a été compare avec les Amish, avec lesquels il partage quelques similitudes, particulièrement en ce qui concerne le mariage et les nouvelles technologies. Les femmes doivent être soumises à leurs maris et sont encouragées à avoir au moins 7 enfants. Les préservatifs et la pilule sont interdits. Les soins médicaux classiques sont comme fuis, une chose que des observateurs ont relié à ce qui apparaît être un taux anormalement haut d’enfants mort-nés. (Rose a eu un enfant mort-né en 2001 et dit qu’elle a eu connaissance de 5 enfants mort-nés pendant qu’elle était à Picton).

 

On y entre … La famille Ilich à Galston, Sydney, en 2007

 

La vie en communauté est strictement règlementée. Les membres se lèvent à 6 heures du matin (sauf le samedi – Sabbat – où ils se lèvent à 7 heures), réveillés au son du « shofar », ou corne de bélier. Il y a un rassemblement matinal ou « minchah », à 7 heures, qui comprend prières et chants, suivi par le travail à la ferme, la cuisine ou aux champs. (Un des premiers jobs de Mark fut de s’occuper d’un troupeau de 30 moutons mérinos). La communauté développe également beaucoup d’affaires dont des boulangeries, des cafés, des équipes de peinture ou de démolition de maisons auxquelles Mark, et plus tard son fils Abraham, se sont trouvés eux-mêmes affectés. Les enfants, pendant ce temps, sont scolarisés à la maison en utilisant des textes « approuvés », imprimés sur place.

Il n’y a ni TV, ni internet, ni journaux, ni magazines, ni radio. Les membres sont découragés de contacter d’anciens amis ou leur famille et ne votent pas.

 

Mark et Rose n’étaient pas particulièrement religieux, mais ils étaient impressionnés par l’engagement du groupe et le sens de la ferme comme « étant une grande famille ». Rose dit : « Un de leurs enseignements est de « prendre conseil en commun » ce qui signifie que chacun est ecoute ».

 

Très tôt, on a assigné à Mark et Rose – à chacun – un « Berger », un membre confirmé dont l’approche spirituelle le plaçait comme un mentor. « Mon berger était une femme appelée Bakhirah », nous dit Rose. « Si j’avais un quelconque problème dans mon couple, une quelconque préoccupation ou gêne, je devais aller vers elle et me confier à elle ».

 

 

On y reste … Erez et Undila en 2010, au moment de leur mariage

 

Et il y avait une quantité de choses au sujet desquelles s’ouvrir. Les enseignements, certains venant de la Bible, d’autres de Yoneq lui-même, soulignaient la profonde injustice du monde extérieur, un endroit sombre dans lequel la seule lumière est sa propre conscience. Manquer à sa conscience, conduit inévitablement à être relégué au « Lac de Feu ». Les membres sont incités à « renouveler leur esprit » – une phrase de l’apôtre Pierre – et à être « un livre ouvert face à leurs frères », « partageant » toujours leurs péchés, soit avec les dirigeants, les « bergers », soit aux rassemblements.

 

Les péchés des Ilich étaient nombreux. Rose, par exemple, avait couché avec des hommes avant d’être mariée ; elle s’était aussi « rebellée » contre sa mère. Mark, de son côté, avait joué de la batterie dans un groupe rock (« j’avais un démon du tambour, apparemment », dit-il). Il avait aussi fait du surf et fumé de la marijuana. « Ils formulent une exigence élevée », nous dit Rose. « C’est tout ce que vous entendez, tout le temps, et donc vous commencez à vous juger vous-même à l’aune de cette exigence. Votre pensée devient très « blanc ou noir ». Au même moment, ils se présentent comme la seule voie pour obéir sincèrement à Dieu, dont ils incarnent l’esprit. Donc si vous n’êtes pas d’accord avec les dirigeants, ou votre « berger », vous êtes en désaccord avec Dieu lui-même.

 

La pression pour se confesser était considérable. Si un seul membre cachait quelque chose, Dieu ne pouvait répondre aux prières de qui que ce soit ce jour là. Et donc, Rose voulait quotidiennement « récurer » son esprit de toute trace de péché. « A la fin vous manquez de quoi confesser et votre cerveau invente des problemes » Elle commença également à surveiller la conduite de Mark. « Ils me disaient que Mark était vain parce qu’il avait cherché l’attention des autres et valeur personnelle dans des choses qui ne sont rien en elles memes, comme faire de la musique. Dans le passé je pensais que sa musique était belle, maintenant je commençais à considérer que c’était un signe de faiblesse. »

 

 

Une vie différente … Rose Ilich aujourd’hui, plus heureuse loin des Douze Tribus. Photo Tim Bauer, Coiffure et maquillage : Wayne Chick

 

Rose fut prise de soupçons à l’égard de Mark, pensant qu’il était « empli de péchés qu’il ne confessait pas ». A la fin, à chaque rassemblement, ayant confessé leurs transgressions « comme un agneau devant Dieu », le groupe joignait les mains et s’engageait dans une séance de cris qui durait plusieurs minutes. « A ce moment là, cela semblait thérapeutique » nous dit-elle.

 

Mark et Rose étaient sous l’emprise des enseignements du groupe tirés de la Bible. En fait, la majorité viennent du fondateur du groupe : Spriggs est un personnage mystérieux, ancien joueur de football, boxeur et soldat, un évangéliste charismatique que son rejet, dans les années 70, de la « religion établie » rendit populaire dans le courant « d’engouement pour Jésus » de la contre-culture. Bien qu’initialement défini comme appliquant une politique d’ouverture – il n’y avait aucun « leader », chacun était un « prêtre » – son mouvement était devenu de plus en plus fondamentaliste et autoritaire.

 

« Spriggs se considérait comme le prophète (mot-à-mot celui qui a été oint), avec une connection directe avec Dieu », dit David Pike, un ex-membre du groupe des Tribus de Manasseh, aux USA. « Il se présente comme plein d’amour mais il est l’image parfaite du leader religieux narcissique. Une chose dont je me souviendrai toujours est ce qu’il avait l’habitude d’appeler « contrôle d’attitude », quand il venait derrière un disciple mâle, lui tapait dans le dos aussi fort qu’il pouvait pour voir la réaction de la personne, si il grimaçait ou sautait ou s’il levait ses poings. Je haïssais cette façon de faire. »

 

Spriggs est considéré comme vivant à Hiddenite, en Caroline du nord, dans un hôtel particulier d’avant la Guerre d’Indépendance que le groupe a acheté en 2006. Mais il voyage beaucoup, volant d’une communauté à l’autre, chacun de ses propos transcris en « Enseignements » (ou « l’onction ») qui sont publiés dans les Intertribal News, la newsletter « maison » du mouvement.

 

Les enseignements de Spriggs, dont certains sont cachés aux membres jusqu’à ce qu’ils soient considérés comme aptes à les « recevoir », sont souvent bizarres. Il a dit que « la soumission aux blancs est la seule voie de salut pour les noirs » et que Martin Luther King était « totalement démoniaque ». (Le groupe dénie à ceci tout caractère raciste, soulignant qu’ils ont d’éminents membres noirs en Amérique).

 

Les enseignements sont également des prescriptions minutieuses, controlant chaque aspect de la vie des membres. Spriggs insiste sur le fait que les hommes doivent porter la barbe puisque ce sont les Romains qui ont commencé à se raser. Il interdit les montres-bracelets qu’il considère comme une vanité  et il a décrété que tous les membres devaient manger avec des baguettes pour accélérer le développement du groupe en Asie. Le régime est strictement régulé : pas de sucre, de chocolat, de café ou de thé, mais à volonté des graines de lin, des grains complets et du millet, ainsi qu’une insistance particulière sur des nourritures liées à des cultures comme le yoghourt et le kombucha. « A un moment, le piment était interdit, » nous dit Rose, « puis il a été autorisé de nouveau ».

 

On apprend à tous les membres des Douze tribus à finir leur douche en se rinçant à l’eau froide, qui selon Spriggs favorise la production de globules blancs. Quand Rose demanda à son berger : froid comment ? , il lui fut répondu : « Très froid, même en hiver, pendant une à deux minutes. Si je tempérais avec du chaud, j’autorisais ma chair à être plus forte que moi ».

 

Michael Painter, qui a passé 18 ans dans les tribus aux USA et s’éleva au troisième rang de la hiérarchie a décrit l’approche de Spriggs comme « dents, cheveux et globes oculaires ». « Il était dit que si dieu ne contrôle pas vos dents, vos cheveux et vos yeux, en verite vous ne lui appartenez pas .».

 

Mais les plus stricts enseignements de Spriggs concernent l’éducation des enfants. Les enfants ont une place spéciale dans l’eschatologie des Douze Tribus, qui considère que Yahshua ne peut revenir que si Dieu a, à travers le mouvement, sélectionné 144 000 parfaits enfants mâles, « si purs que le feu sort de leurs bouches ». Elever des rejetons obéissants est donc impératif. Les enfants doivent, à tout instant, être « couverts », une expression des Douze tribus qui signifie « supervisés par un adulte ». Ils ne doivent pas jouer (jouer c’est se disperser). Ils ne doivent pas avoir de jouets. Ils ne doivent pas siffler. Ils ne doivent pas s’engager dans l’illusion ou l’imagination, ou posséder des livres qui anthropomorphisent la nature, décrivant, par exemple, un chien qui parle ou un soleil qui sourit. « A Picton, lesArticle en anglais sur:

!!br0ken!! gosses n’étaient jamais autorisés à parler entre eux sauf « couverts » par un adulte, « puisque ceci ne pouvait conduire qu’à la bêtise », dit Mark.

 

D’après Mark, une obéissance inconditionnelle est obligatoire : les enfants doivent répondre « Oui, Abba (père en hébreu) » ou « Oui, Ima » à tout ordre parental. Tout manquement entraîne une fessée avec la « baguette », un stick en plastique de 50 centimètres de long, dont un exemplaire est gardé au-dessus de chaque porte de chambre. Les parents sont instruits sur la façon d’utiliser la « baguette » au cours de séances mensuelles « de formation de l’enfant » et, également dans un Manuel de Formation de l’Enfant, de 267 pages, dont Mark et Rose reçurent une copie après leur première année. Ecrit par Spriggs, le manuel souligne que « vous devez le faire suffisamment violemment pour produire le résultat désiré » et que « les marques de ce châtiment montrent l’amour des parents ».

 

C’est appelé « la baguette et la réprimande », dit Mark. « Les enfants ne sont pas censés crier (ou pleurer). Ils sont censés « recevoir » leur châtiment sereinement. Alors vous leur dites pourquoi vous les battez et ils disent : « Je suis désolé, je suis désolé ». Cela devient un rituel ».

 

Les enfants ne sont pas battus seulement par leurs parents. Tout adulte « couvrant » peut les « corriger ». Abraham était battu régulièrement, par de nombreux adultes, soit sur la main (6 coups) soit sur les fesses (12 coups). « Plus tu criais (ou pleurais), plus tu étais fessé, » dit-il. « Si c’était une femme et que j’étais battu sur les fesses, je gardais mon pantalon. Mais si c’était un homme, il baissait mon pantalon et me battait directement sur la peau ».

 

Les fessées commençaient à l’âge de 4 ans. « La première fois j’ai crié (ou pleuré) beaucoup. Mais je cessais définitivement de crier (ou pleurer) à 12 ans ». Alors, il avait décidé de se rebeller. « Je décidais que je ne ferai jamais ce qu’ils voulaient me faire faire, sauf si j’étais battu jusqu’à ce que je ne puisse en endurer plus, et alors j’obéirais ».

 

En 1984, alertés par des plaintes pour abus, les autorités américaines investirent le quartier général du groupe du Vermont, prenant en charge 112 enfants. (Cette descente fut considérée comme non constitutionnelle et les enfants relâchés plus tard). Le groupe a fait l’objet d’une enquête pour abus d’enfants plusieurs fois au cours de la dernière décennie aux USA, en France et Allemagne. En septembre de cette année, la police bavaroise a extrait 40 enfants de deux communautés des Douze Tribus, sur la base d’un programme télé, tourné en caméras cachées, montrant des adultes battant six enfants de 83 coups de canes en l’espace de quelques heures.

 

Le groupe a nié de façon répétitive les accusations d’abus d’enfants. En réponse, sur son site web aux USA, il décrit le raid bavarois comme « injuste » et insinue que les autorités ont été « manipulées par des pouvoirs spirituels invisibles ».

 

Les Ilich trouvèrent la discipline envers les enfants particulièrement difficile. Leur fille aînée, Undila, était largement conformiste et leur fille cadette, Lebana, qui était née en 1998, était encore une toute petite. Mais Abraham posait problème. « Il était un garçon normal, turbulent, ce qui pour eux est inacceptable » dit Rose  « Je finissais par devoir le fesser presque constamment, pout tout ». Abraham fut bientôt étiqueté comme « un élément rebelle », une chose pour laquelle Mark et Rose furent blâmés. « Nous étions de mauvais parents », dit-elle.

 

Cela devint leur opprobre caractéristique. En 2001, quand Rose accoucha d’un enfant mort-né, on lui dit que c’était parce qu’elle était « pleine de péché ». « Le berger de Mark vint dans ma chambre alors que j’étais encore couchée et me dit que c’était la « bonté de Dieu » que le bébé soit mort, car cela aurait été néfaste d’amener un bébé en ce monde avec des parents comme nous ». Peu après, les dirigeants leur interdirent d’avoir des relations sexuelles. « Et nous les avons obei », dit Rose.

 

Plusieurs fois durant notre conversation, J’ai demandé à Mark et Rose pourquoi ils n’étaient pas partis. « Partir n’est pas une option envisageable » dit Rose. « Vous devez comprendre à quel point on vous a lavé le cerveau. Vous perdez toute capacité d’exercer votre esprit critique ».

 

Ils avaient peur également. Les Tribus considèrent un ex-membre comme quelqu’un qui était illuminé et a choisi de pleine volonté l’obscurité ; et qu’il est plus malfaisant qu’un non croyant ordinaire. « Nun disait que les gens qui partaient devenaient des prostituées ou des homosexuels, qu’ils souffriraient de maladies, mourraient de mort précoce et iraient directement en enfer. »

 

Une ancienne membre de Picton dit, plus tard, à Rose comment elle avait pris un vol vers Auckland peu de temps après être partie. « Elle était tout le temps terrifiée par le fait que Dieu pouvait mettre en éruption les volcans au-dessous d’eux, tuant tout le monde à bord »…

 

De plus, il y avait peu de temps pour penser. « Vous travaillez tout le temps » dit Rose. « La première chose que je faisais le matin était un rapport à ma sœur « couvrante », qui me donnait mes corvées pour la journée – cuisiner, nettoyer, prendre soin des enfants ». Mark, pendant ce temps, était affecté à des équipes de peinture ou de démolition et construction.

 

Les Tribus sont remarquablement industrieuses. Elles possèdent au moins 24 sociétés dans le monde et sont extrêmement bien pourvues aux USA où elles exploitent des magasins de mobilier, de vêtements pour enfants, une imprimerie de presse, des boutiques de cuir, des fabriques de savons, des magasins d’alimentation, des cafés, des boulangeries et des sociétés de construction de plusieurs millions de dollars, parmi lesquelles la plus grande, les Bâtisseurs de Judée, spécialisée dans les crèches et les restaurations historiques. Ils possèdent également une ferme à maté (le maté est une herbe semblable au thé) au Brésil, qui d’après David Pike, leur produit un bon revenu ».

 

En Australie, comme partout, les membres ne sont pas payés pour leur travail. « Je faisais régulièrement 12 ou 15 heures par jour », dit Mark. « J’ai construit leur Common Ground Café à Rozelle et leur Yellow Deli à Katoomba. Chaque année, nous devions construire le Common Ground Café au Royal Easter Show »

 

Les affaires étaient hautement profitables. « Une fois je les ai aidés à sortir 40 000 dollars en liquide du Easter Show. Mais je n’en ai jamais vu un centime »

 

Quand Abraham eut treize ans il fut exclu de l’école – « ils me dirent que j’avais une mauvaise influence sur les autres étudiants » – et envoyé travailler, creusant des tranchées, coupant des arbres. A l’âge de 14 ans il travaillait avec Mark dans une boulangerie à Lidcombe, Sydney où les Tribus faisaient des petits pains à vendre lors du festival folk de Woodford.

 

« La boulangerie était le pire, » dit Mark. « Durant les trois premières semaines nous dormions sur des matelas à même le sol avec des couettes, dans un réduit, à côté de la boulangerie. Nous mangions les produits de la boulangerie, toutes les nuits, faisant 12 – 15 – 20 heures par jour.

 

Après 18 mois à la boulangerie, Mark eut un déclic. « Je me suis seulement dit, ras-le- c.. de tout çà, je m’en vais. Je n’ai rien dit à Rose – tout ce que je lui disais, elle le répétait aux dirigeants. Donc mon fils et moi nous avons juste foutu le camp. Nous avons fait du stop jusqu’à Sunnyholt Road. J’avais un peu d’argent de poche et j’ai appelé mon frère Peter, qui vivait dans les Blue Mountains et lui demandai de venir nous récupérer.

 

Mark et Abraham dormirent dans la maison de Peter cette nuit là. Mais, le lendemain, Israel arriva. « Israel connaissait bien mon frère et il savait où il vivait. Il savait aussi que nous n’avions presque pas d’argent et que je serais chez mon frère ».

 

Mark et Abraham se rendirent et furent reconduits à la communauté.

 

La famille de Mark, dont la plus grande partie vit en Nouvelle Zélande, n’avait jamais eu aucun soupçon sur les Douze Tribus. «  Ils pensaient seulement que nous étions dans une communauté chrétienne sympa » dit-il. Mais la famille de Rose était différente. « Nous savions depuis le début que c’était une secte » dit la sœur de Rose, Catherine Cruzado, qui vit à Paris.

 

En 2000, Catherine et son frère Henri avaient prévu de rendre visite à Rose à Sydney. Mais quand Rose parla aux dirigeants de leur arrivée imminente, tout l’enfer se déchaîna. « Nun était convaincu que ma famille venait pour m’enlever », dit Rose.

 

En une semaine, Rose, Mark et leurs trois enfants prirent l’avion pour l’Espagne, où ils furent installés dans une communauté des Douze Tribus à Zeberio, au Pays Basque. La mère de Rose vivait tout près, à Laredo, à seulement 20 minutes de voiture, mais Rose ne fut pas autorisée à lui rendre visite. Au contraire, on lui demanda d’appeler Catherine et Henri et de leur dire qu’elle était avec sa famille à Boston. « Tout le temps un des leaders espagnols, un homme appelé Yowcef Rodriguez, était assis à côté de moi » dit Rose. Catherine annula ses vols. Mais Henri décida, malgré tout, d’aller visiter la communauté à Picton, où il lui fut servi du thé et du gateau, par « des femmes robots portant des jupes larges ».

 

« J’ai parlé au chef », dit Henri. « Il fut courtois et charmant jusqu’à ce que je lui demande pourquoi il cachait ma sœur, alors il me rit à la figure et répondit qu’il n’avait aucune idée d’où pouvait bien être Rose. »

 

Henri devait faire un total de 5 voyages en Australie au cours des dix ans suivants, souvent avec Catherine. Ils contactèrent Matthew Klein, un ex-membre des Douze Tribus, pour avoir de l’aide et travaillèrent avec l’expert aux sectes, à Melbourne, Raphael Aron, « J’ai fait 100 000 kilomètres et vu ma sœur une fois, pendant 10 minutes » dit Henry. « C’était en 2004 et Rose avait finalement accepté de me rencontrer à Peppercorn Creek Farm.

 

Henri avait apporté un poster de l’arbre généalogique des Cruzado depuis le 16ème siècle pour montrer à Rose qu’elle avait déjà une famille. Mais Rose le repoussa. « J’avais la frousse d’Henry, parce que les leaders avaient dit qu’il faisait partie d’un mouvement anti-sectes et qu’il voulait me kidnapper, les enfants et moi ».

 

A la minute où Henri apparut, Abraham et ses sœurs furent emmenés par un des dirigeants et cachés sous le toit du bâtiment principal. « J’étais deprime » raconta Abraham plus tard, « car je savais que je ratais la meilleure et peut-être la seule chance de m’échapper ».

 

Faire disparaître la famille de Rose était étonnamment facile : à chaque fois qu’Henri apparaissait, la famille était simplement propulsée à travers un réseau de propriétés – un appartement à Leura, une maison à Burwood, un hôtel à Lithgow. Une fois les Tribus louaient un bungalow près de Parramatta, puis une maison sur la plage de Coledale, et plus tard une maison à Seven Mile Beach, près de Gerroa. Les dirigeants développaient une telle paranoïa sur le fait que la famille de Rose puisse la trouver qu’ils n’autorisèrent pas Mark à renouveler son permis de conduire en Nouvelle –Zélande. « Ils pensaient que les autorités pourraient l’utiliser pour nous suivre à la trace » dit Mark.

 

Mark apprécia la vie à Gerroa, au moins, il ne se tuait plus au travail. De plus, il pouvait refaire du surf. « J’ai trouvé cette planche aux ordures et je l’ai réparée » dit-il.

 

Mais, un jour, alors que Mark et Abraham étaient partis surfer, quelques leaders firent une visite surprise. « Il fallait avoir vu leur indignation ! » dit Mark.

Les dirigeants ramenèrent la famille à la ferme où ils participèrent à une réunion ou « cohol », interrogeant Mark durant 5 heures. « J’ai subis leur incessant martelage », dit-il. « Ils reprenaient des versets de la Bible, me disant que « j’aimais le monde » et que « quiconque aime le monde perd sa vie » ».

 

Leur solution était de separer la famille, en envoyant Mark et Abraham au loin, d’abord à Katoomba, puis à Bargo, pendant que les femmes resteraient à la ferme. « Rose était autorisée à me rendre visite de temps en temps » dit Mark, « de telle sorte que je puisse voir Lebana qui était encore petite ».

 

Au milieu des années 2000, Mark et Abraham furent autorisés à revenir à la ferme de temps en temps pour se réintégrer. Mais Abraham faisait invariablement quelque chose « de ce monde » – couper ses cheveux, fumer une cigarette, porter son pantalon bas – et était réprimandé. Puis quand Abraham eut 15 ans, les Anciens lui demandèrent s’il aimerait « être lavé », baptisé. « Vous pouvez tous aller vous faire f… » leur dit-il. « Les dirigeants eurent presque une crise cardiaque » dit Mark. « Après cela ils nous envoyèrent au loin, à nouveau, dans cette ferme qu’ils possèdent à Bigga ».

 

La propriété près de Crookwell dans les montagnes sud du NSW, faisait 460 ha, sans électricité, sans eau ni maison. « Nous vivions dans cette cabane » dit Mark. « Buvions l’eau venant du toit. Ils installèrent un téléphone pour nous et nous fournirent des bouteilles de gaz pour cuisiner. Et de semaines en semaines, Rose nous rendait visite. « Leur travail était de couper du bois, qui était emmené à Picton pour le chauffage. Mais Mark était de plus en plus déçu «Je voulais foutre le camp. Rose en avait assez, également ».

 

Puis, en 2009, les Anciens envoyèrent Mark et Abraham en Nouvelle Zélande. « Ils voulaient seulement qu’on s’en aille » dit-il. « Ils me donnèrent deux billets de cent dollars et dirent, « votre famille de Nouvelle Zélande peut s’occuper de vous »

 

C’est à Auckland que Mark décida finalement de quitter le groupe. « Je téléphonai à Rose et dit « je pense que je vais quitter ». Elle dit « ma vie est avec toi, je viendrai avec toi » »

 

Mark avait fait une sortie avec sa famille, ostensiblement juste pour une visite. Il leur fit part de sa décision. Abraham était excité. « C’est la meilleure chose que tu m’aies jamais dite » dit-il. Mais Undila était décomposée. Elle ne voulait pas « quitter » et commença à pleurer. Elle était promise à Erez, un jeune homme qui avait été envoyé par la communauté en France. Alors Mark la laissa repartir. « C’est la chose la plus stupide que j’ai jamais faite » dit-il maintenant.

 

La famille passa une année à Auckland avant de retourner à Sydney. « « Nous souhaitions être plus proche d’Undila » dit Mark à propos de la décision de revenir. « A cette époque nous pensions que nous pourrions avoir une chance de maintenir le contact ».

 

Mais ils avaient tort. Undila, qui a eu une fille en 2011, a clairement dit qu’elle ne voulait rien avoir à faire avec sa famille. « Quand vous lui téléphonez, elle dit qu’elle ne souhaite pas vous parler », dit Mark. « Quand vous allez sur place, son mari vient à la porte et dit « je vous ai dit que vous n’êtes pas autorisés à être ici. Ne venez pas ici ». La dernière fois que nous y sommes allés, Notre petite petite-fille était là et un couple d’Anciens vinrent pour « couvrir » la situation ». Rose en est revenue mortifiee.

 

Mark et Rose vivent maintenant dans les Blue Mountains avec Lebana et Abraham, et reconstruisent lentement leur vie ensemble. Mark travaille dans la maintenance et est revenu au surf et à la musique. Il joue de la batterie dans un groupe appelé les Fabulous Shapelles et donne des leçons de batterie à la maison. « J’ai 53 ans, mais j’ai l’impression d’en avoir 21 » dit-il. « C’est comme si je repartais à nouveau, parce que tu sors sans rien ».

 

Rose fait des ménages. « C’est un peu décevant pour ma famille. Je ne veux pas passer ma vie à faire des ménages »

 

Elle a lu sur lel’emprise, essayant de comprendre son expérience. « Quand je regarde en arrière, je ne peux pas croire que tout cela est arrivé. C’est tellement bizarre. C’est comme si j’étais devenue une autre personne ».

 

Dans cette secte, souligne-t-elle, ils décident qui a le droit d’exister et qui ne l’a pas. « Mais nous sommes là » dit-elle. « Nous existons encore. C’est déjà quelque chose ».

 

Les Douze Tribus ont été contactées par Good Weekend, mais ont refusé tout commentaire.