Archives 2007 de SOS Derives sectaires sur Tabitha’s Place

Source:Archives 2007 SOS Derives sectaires, Tabitha’s place

TABITHA’S PLACE

Des adeptes de la secte Tabitha’s Place racontent six ans reclus

PARIS (Reuters) – Deux anciens adeptes de la communauté biblique Tabitha’s Place ont exposé mardi à l’Assemblée nationale leurs six années passées reclus dans un château des Pyrénées-Atlantiques, avec leurs enfants, éduqués en dehors du système scolaire et non suivis médicalement.

Devant la commission d’enquête parlementaire sur les sectes, le couple, Michel et Anne-Marie, a raconté les longues journées de travail au rythme des saisons, les repas frugaux, l’absence de médicaments, la surveillance constante et le “compte en banque qui se vide au fur et à mesure”.

“Ils disaient que c’était la foi qui les animait, mais c’est une très bonne idée de business en se servant de la naïveté de gens comme moi”, a expliqué le père, qui a pris la décision de rejoindre la communauté en décembre 1998. “Tout était très subtil, en douceur, avec des gens qui ont toujours le mot Dieu à la bouche”.

Les parents ont surtout été interrogés sur la situation de leurs quatre enfants, dont la petite dernière est née au château de Sus-Navarrenx, dans les Pyrénées-Atlantiques, où Tabitha’s Place est installée depuis le début des années 80.

La commission, dirigée par le député UMP du Rhône Georges Fenech, doit rendre le 19 décembre un rapport sur “l’influence des mouvements sectaires et les conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs”.

Elle a réalisé pour cela une trentaine d’auditions, notamment d’anciens membres du Soka Gakkai, un mouvement bouddhiste prosélyte répertorié comme secte par plusieurs rapports parlementaires.

Le 21 novembre, des membres de la commission se sont rendus dans les Pyrénées-Atlantiques pour une visite surprise, découvrant 18 enfants en âge d’être scolarisés, ne connaissant ni internet, ni Zidane, ni Johnny Hallyday. Au total, la communauté compterait 120 membres, dont une soixantaine d’enfants mais les responsables de Tabitha’s Place, également appelée “Ordre apostolique”, n’ont pas fourni de chiffres exacts.

Ses membres ont eu plusieurs fois maille à partir avec la justice, notamment pour soustraction aux obligations légales des parents (refus de scolarisation et de vaccination). En 2001, un couple a été condamné à douze ans de réclusion criminelle pour avoir laissé mourir leur enfant de 19 mois. Il souffrait d’une malformation cardiaque et a été découvert en état de malnutrition avancée.

 

“Enfants purs, à l’image du crucifié”

“Le but de Tabitha’s Place n’est pas de faire (des enfants) des citoyens mais des disciples de Yashuah”, le nom hébreu de Jésus, a expliqué le père de famille, coordonnier-bottier avant d’être enrôlé. “Ils doivent être dans la soumission totale (…) des enfants purs, sans péché (…) des disciples à l’image du Crucifié”.

On leur apprend notamment qu’ils “mourront avec joie” et à chaque “désobéissance”, ils sont “corrigés” avec une baguette en osier.

Les membres de la commission ont voulu savoir pourquoi ils étaient restés si longtemps au détriment de l’éducation de leurs enfants, à qui des membres ont enseigné des rudiments de français et de mathématiques mais seulement l’histoire de l’Ancien Testament – “Cela a été très dur pour eux d’apprendre l’existence des hommes préhistoriques”, a rapporté le père.

“On vivait comme si on était dans un pays étranger, on nous disait que la société autour était le mal personnifié, Satan etc… Vous n’avez pas envie de mettre vos enfants au monde dans les ténèbres”, a avancé la mère de famille, qui a accouché sans assistance médicale, perdant deux litres de sang et mettant des mois à s’en remettre.

“Les croyances des uns et des autres, ce n’est pas notre problème. Notre problème c’est le problème citoyen et républicain que pose les enfants”, a expliqué le rapporteur de la commission, le député PS des Ardennes, Philippe Vuilque, promettant une “réaction à la hauteur” dans le rapport à venir.

La commission envisage notamment de mieux encadrer, en accentuant les contrôles, la scolarisation à domicile, “qui ne doit pas être interdite parce qu’elle est vitale pour les enfants handicapés”, a-t-il ajouté.

Les parents, qui étaient arrivés dans la communauté pour un “séjour de quatre jours”, n’ont trouvé le courage de s’enfuir qu’à l’été 2004, rescolarisant leurs enfants en Bretagne.

Leur fils “parle parfois d’envie de vengeance”, deux de leurs filles font des cauchemars où un avion militaire vient enlever tous les enfants sauf elles, un “comportement de bêtes traquées” que leur père attribue aux “litiges incessants avec l’inspection académique”.

 

Boursier.com, 5 décembre 2006

Au coeur de la secte Tabitha’s Place

En attendant Yahshua

« Zidane, connais pas. Regarder la télévision ? Pas le temps. Aller au cinéma ? Jamais… » Tout le monde se souvient de ces réponses des enfants âgés de 6 à 16 ans interrogés par la Mission parlementaire en visite surprise dans la secte installée dans les Pyrénées Atlantiques, près de Pau depuis 1983. Encadrés par une centaine d’adultes qui exigent d’eux une obéissance absolue et l’inculquent à coups de badine, les jeunes garçons et filles « scolarisés » sur place sont coupés du monde extérieur. Notre reporter a réussi à se faire admettre dans les murs de la communauté une journée entière. Tabith’as Place, qui dépend de l’Ordre Apostolique, mouvement fondé aux Etats-unis à la fin des années 70, attend, recluse, le retour de Yahshua, Jésus en hébreu. La secte prône l’isolement. Pour un retour aux sources de la Bible , mais aussi à la nature.

« Tribal Trading Company » s’affiche en arabesques noires sur un grand panneau jaune. L’écriteau, du nom d’une S.a.r.l de la secte, annonce le château de Sus. Tabith’as Place. Lentement, j’entre dans la cour. Les graviers me trahissent. Déjà, derrière une haute fenêtre au premier étage, un rideau s’écarte. Une femme et deux enfants pâles me suivent des yeux, le visage fermé. A peine ai-je touché du doigt la lourde porte de bois que celle-ci s’ouvre sur Békor. Il passait par là, dit-il. L’air juvénile, grand et mince, il m’entraîne sur ses pas dans le jardin du château. Une courte queue de cheval effleure son épaisse chemise de bûcheron. Békor vit dans la secte depuis onze ans. Ce Slovaque globe trotteur a fait escale ici au cours d’un voyage pour ne plus repartir. Il a adopté la vie simple et sobre de la communauté biblique. A laissé pousser ses cheveux, puis les a taillés à la longueur règlementaire – la queue-de-cheval doit tenir dans le poing fermé. Quelques temps après son arrivée, on lui a donné le prénom hébreu Békor, « le premier fruit ». Il joue aujourd’hui un rôle important dans la secte.

Quand je me suis présentée au téléphone, Békor m’a immédiatement « Googlisée ». Taper mon nom dans le moteur de recherche américain a été son premier réflexe. Puis il a regardé le « podcast » – le mot est de lui – auquel j’ai participé. La secte possède Internet, la télévision et un matériel informatique de pointe. Mais seuls les responsables, moins d’une dizaine de personnes, ont accès au sanctuaire technologique, interdit aux enfants.

Une salle est ouverte à tous, même aux visiteurs : le Lodge. Békor m’y conduit. Cet immense bâtiment en bois sert de lieu de vie commune. Il accueille repas, prières et fêtes. Les adeptes l’ont construit de leurs mains. Dans la grande cuisine équipée en Inox, trois jeunes filles souriantes s’affairent déjà au repas du soir. Les tâches ménagères sont réparties par équipes dans un système d’alternance. Et tous s’y mettent, les femmes, mais aussi les hommes et les enfants.

Les jeunes générations s’avèrent réellement indispensables à la secte. Et le ménage est bien la moindre de leur mission : Tabith’as Place attend la fin du monde. Ou plus exactement le retour de Jahshua, Jésus en hébreu. Une utopie dans laquelle les enfants prennent une place fondamentale. Car le « Maître » ne reviendra que si les hommes deviennent aussi purs que lui. Les adeptes comptent donc sur leur descendance pour atteindre la pureté christique. Ils entendent qu’elle s’améliore continuellement, de génération en génération. Et permette un couronnement final des « douze tribus d’Israël » constituées à travers le monde.

Ce soir, Békor était de corvée de dîner mais la rédaction du rapport de la secte, en réponse à celui de l’Assemblée nationale, lui a pris du temps. Les filles de son équipe ont déjà préparé une centaine de ramequins de crème de pois chiches. Tresse jusqu’au milieu du dos, jupe longue et sandales, leur tenue, à toutes, évoque celle des amish. Un peu plus tard, pour la cérémonie, elles iront couvrir leurs cheveux d’un voile et ceindront leur tête d’une mince couronne tressée.

Les femmes commencent à porter le voile à l’adolescence, quand elles ont décidé d’entrer dans « l’Alliance », de se faire baptiser. Après immersion dans le gave d’Oloron qui coule en contrebas du château, les adeptes reçoivent un autre baptême : celui du nom. Les enfants naissant au sein de la secte se voient attribuer leur prénom hébreu dès leur premier cri. Et ignorent d’ailleurs leur état civil. Mais ceux qui ont eu une vie « au dehors » doivent mériter ce surnom. Kim, Flamande de 16 ans, ne connaît pas encore le sien. « Les autres décident pour nous, selon ce qu’on leur évoque. Parce que chaque prénom hébreu a une signification ».

Kim participe à la cuisine. Elle garde un bébé dont elle ne connaît pas l’âge mais qu’elle aime bercer. C’est ce qu’elle préfère. Avec les cours de français. Elle ne peut cependant pas citer un seul titre de livre. Elle ne s’en souvient pas dit-elle. Tabith’as Place n’enseigne pas la culture contemporaine. Ici, le principal ouvrage c’est la Bible , qu’on prend au pied de la lettre. La jeune fille blonde, au visage poupin et au calme déroutant, sait déjà qu’elle aussi aura des enfants dans la secte. Elle souhaite s’y marier et fonder une famille. Comme les autres femmes avant elle, elle accouchera à domicile. Assistée seulement de ses « sœurs », sages-femmes improvisées, formées avec un manuel édité par la secte. Et si son bébé est un garçon, il sera circoncis, à la maison également. Vivre comme les premiers chrétiens suppose une absence d’église, de prêtre, mais aussi de soins médicaux. Cette conception de la santé a valu à la secte un bruyant scandale, il y a dix ans. Un bébé de 19 mois était mort faute de traitement. Né avec une malformation cardiaque, facilement opérable, le petit Raphaël n’avait reçu que des prières en guise de thérapie. Jugés coupables, les parents ont été condamnés à douze ans de prison.

A Tabitha’s Place, comme le disent les adeptes, « les portes sont ouvertes ». Et c’est vrai : seuls les enclos sont fermés, pour le bétail. Face au château, de l’autre côté de la nationale qui coupe le domaine en deux, des poulaillers, mais aussi des serres et des potagers s’étendent sur plusieurs centaines de mètres. A côté d’une petite cabane en bois, huit chèvres broutent paisiblement. Derrière la maisonnette, les adolescents réparent le grillage qui entoure le poulailler. La secte possède quelques 300 poules et a récemment acheté des chèvres pour utiliser leur lait. Les adeptes pensent s’essayer bientôt à la fabrication des fromages. Les habitants de Tabith’as Place se nourrissent et vivent en partie de leurs cultures et leur production. Ils complètent avec des produits de supermarché (condiments, jus de fruits…) Et vendent, sur les marchés, les foires et Internet, les produits bio – thé, pain, savon…- ainsi que les tables en bois qu’ils fabriquent. Les deux S.a.r.l. de la secte, Tribal Trading Company et Ruben and Brothers qui commercialisent ces produits, ont engrangé des revenus estimés à 2 ou 3 millions d’euros en 2001, selon les derniers chiffres connus que s’est procurés le journal « Sud Ouest ». La plupart des membres de la communauté étant cogérants de ces sociétés, celles-ci n’ont quasiment personne à salarier.

Ruben and Brothers est notamment dédiée à la récupération et au recyclage de matériaux. Les tables de jardin en bois vendues dans les foires sont fabriquées avec des planches et des palettes recyclées. Et entre les champs, sur un vaste parking en terre, sont garés deux cars, un van et un minibus. « On nous les a donnés. Nous allons les réparer puis en vendre un ou deux » explique Ishah, la « secrétaire » aux longs cheveux gris, certainement l’une des responsables de la secte. « mais le travail ne se résume pas à labourer des champs d’artichauts et réparer des cars rouillés, glisse-t-elle à demi-mot. Ils ont d’autre projets, comme la création d’une boulangerie à Paris ».

D’autres projets. D’autres ressources. Les fonds de Tabith’as Place proviennent aussi de l’épargne de ses membres. Quand ils rejoignent la secte les adeptes ouvrent leur compte en banque à la communauté. Thabit’has Place l’annonce d’ailleurs sans détour sur son site. Vivre comme les premiers chrétiens suppose de tout partager, sans limite. Un bémol cependant à ce fonctionnement présenté comme communautaire : seuls les responsables gèrent l’argent. Et le distribuent selon leur bon vouloir. Ainsi, selon un ancien adepte, seuls les enfants des dirigeants auraient droit à des lunettes.

Un vaste bâtiment ancien à deux étages, situé derrière le château, accueille les trois salles de classe. Comme dans toutes les écoles primaires, une carte de France est affichée sur le mur du fonds. Des arbres dessinés par les enfants décorent la salle. De petits cartables sont entassés sur une table près de la porte. Mais sur le tableau noir, la craie a esquissé une phrase moins familière aux écoles de la République. : « La parole s’est faite chair ». Les cours commencent et se terminent avec des enseignements de la Bible. Aujourd ’hui, le dernier de la journée a été consacré à Jean, chapitre III, verset 8 . « Le vent souffle où il veut et tu entends le bruit, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de quiconque né de l’Esprit ». Un dessin de bateau annoté d’explications illustre la parole biblique.

La secte, qui est légalement autorisée à instruire les enfants à domicile doit néanmoins suivre le programme. Chaque année, un contrôle est effectué par des inspecteurs d’académie. Des conseillers pédagogiques dénonçaient jusqu’en 2001 le retard scolaire des enfants. Ces dernières années la secte a apparemment fait des efforts pour le combler. Ce n’est donc plus tellement le niveau des enfants qui pose question aujourd’hui, mais leur enfermement psychologique. Les députés, qui ont rendu une visite surprise à Tabith’as Place en novembre dernier, l’ont dénoncé et en ont fait un point central dans leur compte-rendu (lire l’encadré page 108). Les adeptes de Tabith’as Place tiennent absolument à instruire leurs enfants dans la secte parce que, à leur yeux, « au dehors », l’école est celle de la perversion, où drogue et violence ont droit de cité. Pour Tabith’as Place, éviter la scolarisation permet de préserver les enfants. Et de les façonner.

Notamment à coups de baguette, car l’éducation inclut des châtiments corporels. On les « discipline » pour qu’ils soient bons et rachètent les péchés de leurs parents. Sur le site de la secte, Régis, professeur, reconnaît qu’il utilise une fine baguette en osier pour « corriger » ses enfants et leur « donner des limites ». Cette sévérité explique le calme régnant au Lodge. Dans la grand salle des fêtes, une quinzaine d’enfants s’activent. Sans un cri. Un garçon passe silencieusement, un seau rouge en plastique à la main. D’autres sont tranquillement assis. Un petit groupe joue. Mais aucun son digne d’une cour de récréation, aucun brouhaha ne se fait entendre. Les plus jeunes n’ont pourtant que 2 ans.

Les adultes sont les premiers à faire du bruit. On est vendredi soir et ils fêtent shabbat, soit le début de leur jour de repos. Violon, guitare et piano s’accordent pour que résonnent les « mélodies d’Israël ». Des parents prennent leurs enfants par la main et forment des rondes. Les danses rarement mixtes, se succèdent. Puis vient le temps de la prière. Les adeptes de Tabith’as Place n’ont pas officiellement, de hiérarchie religieuse. A l’image des premiers chrétiens, tous peuvent diriger l’office. Un trentenaire, barbu, massif, se lève pour prendre la parole. Il raconte comment Yahshua a guéri son cœur. D’autres témoignages suivent. Les adeptes se font encore plus attentifs. L’un d’entre eux a ouvert la Bible et s’apprête à en lire un passage. En anglais. Les enfants comprennent : éduqués avec ces textes, la plupart sont bilingues. L’extrait raconte l’histoire d’une météorite qui s’abat sur des hommes. Une fois le livre sacré refermé, l’orateur amorce un discours plus positif en présentant les invités présents qui sont venus de loin : un canadien et un italien. L’Ordre apostolique, le mouvement dont dépend Tabith’as Place, a des communautés dans de nombreux pays en Europe, en Amérique et en Océanie. Les contacts entre les différentes branches, facilités par Internet, se révèlent féconds. Les visites et les voyages sont fréquents. Mais les invités ne sont pas toujours des membres. Certains, comme cet architecte italien « choqué du cannabis et des couteaux que l’on trouve de plus en plus fréquemment dans les écoles », se montrent seulement sensibles aux idées de la secte. Et entendent « se ressourcer » quelques jours.

Tabitha’s Place laisse venir à elle les curieux. Mais va aussi les chercher en tenant des stands dans les foires et des salons professionnels. Impossible de définir le profil type de l’adepte. Ainsi trouve-t-on au château un docteur en philosophie. Le parti pris du bio est également un moyen d’attirer des urbains oppressés. Le retour à la nature en tente plus d’un. Notamment après des déboires amoureux ou financiers. Comme pour toutes les sectes, la fragilité psychologique explique nombre de recrutements. Mais pas seulement. Les thèmes de l’écologie, de l’autorité et de l’égalité, que la secte s’est aussi appropriés, sont des sujets sensibles. Et porteurs.

 

Paris Match – 12/18 avril 2007 – Reportage Pauline Liétar

LE COMPTE RENDU DES DÉPUTÉS

Le 21 novembre 2006, la commission d’enquête parlementaire sur les sectes rendait une visite surprise à Tabith’as Place. Extraits de son rapport :

« Un membre de la communauté a indiqué que les enfants – dont le nombre est variable (de 15 à 20) en raison de leurs fréquents déplacements – étaient éduqués par les parents eux-mêmes ; ceux-ci n’avaient pas de formation particulière – lui-même avait un simple B.e.p. de carrosserie – mais assuraient, à tour de rôle, les cours de français, d’arithmétique, d’histoire. […]. Répondant aux questions de la délégation, les enfants ont notamment indiqué qu’ils ne regardaient pas la télévision (« on n’a pas le temps »), qu’ils n’avaient jamais été au cinéma ou au théâtre, que les anniversaires étaient rarement célébrés et que Noël n’était pas fêté. […]

La délégation a ensuite rencontré en tête à tête une jeune fille majeure et qui vit dans la communauté depuis sa naissance. Après s’être déclarée heureuse de vivre dans cette communauté, elle a dit ignorer les noms de Zidane, des Beatles ou des Rolling Stones, ne jamais être allée au cinéma, et avoir pour projet de rester dans la communauté pour y apprendre la couture et la pâtisserie. Une future relation affective n’est envisagée que dans le cadre de la communauté ». P.L.

 

MICHEL ET ANNE-MARIE, ANCIENS ADEPTES, EN PROCÈS CONTRE LA SECTE , RACONTENT

Après avoir rencontré la secte dans un salon professionnel, Michel et Anne-Marie N. viennent passer quelques jours au château avec leurs trois enfants en bas âge, reportent plusieurs fois leur départ, puis finissent par rester. Ils assimilent les principes : « Un point essentiel est l’obéissance, qui est demandée aux enfants au premier commandement. Si l’enfant ne fait pas ce que vous lui demandez dans la seconde, et dès la première fois que vous lui demandez, une correction physique doit lui être donnée. On vous fournit une baguette en osier très flexible. La correction doit avoir l’effet escompté et doit faire mal. » Les enfants du couple le découvrent à leurs dépens.

« Un enfant de la communauté n’a jamais lu un livre, pas même d’un grand auteur, et encore moins une bande dessinée. On leur fait lire des petits livres rédigés par la secte. »

Et le rythme de vie est dur : lever à 5 heures, prière, travail, repas frugaux. Il faut obéir au « gouvernement », « tout au plus huit personnes » qui dirigent les autres, contribuer financièrement aux projets et se passer de médecins. Anne-Marie accouche ainsi de son quatrième enfant dans la secte. Elle perd plus de deux litres de sang et met plusieurs mois à s’en remettre. Le couple finit par craquer face à la sévérité vis à vis des enfants. A Tabith’as Place « on demande progressivement à l’enfant de bien recevoir sa correction, c’est à dire de ne pas pleurer, de ne pas se rebeller, jusqu’à arriver à un point où il va la demander lui-même s’il a mauvaise conscience ». Leur fils, un jour, fait front, c’est le déclic : la famille N. décide de quitter la secte en 2004, six ans après y être entrée. Il lui faut alors endurer pressions, harcèlement et humiliations, raconte-t-elle aux parlementaires. P.L.

 

LE MAIRE DE SUS : « IL FAUT LÉGIFÉRER POUR PROTÉGER LES ENFANTS »

Paris Match. Quelle relation avez-vous avec les adeptes de Tabith’as Place ?

Jean-Maurice Mestrot. Nos contacts avec la secte ne sont qu’administratifs. Nous avons deux interlocuteurs qui viennent nous déclarer les naissances et faire célébrer les mariages. Les enfants sortent parfois, mais toujours encadrés par des adultes. On en croise certains dans les grandes surfaces avec leurs parents. Mais seules les familles des responsables vont au supermarché. Tabith’as Place est un monde à part. Nous ne voyons que ce qu’ils veulent bien nous montrer. C’est très opaque.

Que savez-vous d’eux ?

Il y a, à mes yeux, cinq ou six responsables qui contrôlent la communauté. Cette élite a accès à tout : Internet, la télévision et les informations. Ce ne sont pas eux qui viennent faire des photocopies à la mairie ! En tant que conseiller pédagogique adjoint à l’inspecteur d’académie, j’ai assisté aux tests d’évaluation annuels à Tabith’as Place jusqu’en 2001 : les enfants avaient deux ou trois ans de retard. Ils ne passent pas le brevet et encore moins le bac. Leur objectif à tous est de se marier et d’avoir des enfants dans la secte.

Qu’avez-vous pensé de la visite des parlementaires ?

Tout ce qu’ils ont vu, on le dénonce depuis des années ! Il faut légiférer pour que ces enfants aient accès à la vie telle qu’elle est. Les adultes ont délibérément choisi de vivre dans la secte. Pas eux.

Pouvez-vous intervenir ?

Non. Nous n’avons aucun pouvoir dans ce domaine. Depuis 2005, le château est considéré comme un bâtiment privé. Cette année-là, la propriétaire, une Allemande qui les loge à titre gratuit, a interdit à la Commission de sécurité d’accéder à Tabith’as Place. Nous devions, avec l’aide des pompiers, vérifier l’état du château, bâtiment à l’époque considéré comme destiné à l’accueil du public. Face à ce refus, il a été déclassé. Aujourd’hui, on ne peut donc rien contrôler.

A Sus, commune de 329 habitants dont les résidents de Tabith’as Place, la mairie fait face au château, siège de la secte.

En Amérique, se sont des églises officielles qui préparent le retour de Jésus. Un documentaire témoigne de l’endoctrinement des jeunes chrétiens évangéliques.

« C’est la guerre ! » hurle Becky Fischer à ses jeunes recrues. Pasteur évangélique du Dakota du Nord, elle est convaincue que, comme les « ennemis » de l’Amérique, il faut éduquer les enfants dans une foi extrême. Voilà l’objectif avoué du « Kid on Fire Summer Camp », installé près du lac Devil, rebaptisé « Jesus Camp » dans le film de Heidi Ewing et Rachel Grady. Chaque été, ce camp de vacances évangéliste reçoit des enfants pour quelques jours d’endoctrinement de choc. Au programme : repentance avec cris et larmes, formation antipéchés, mobilisation contre l’avortement, chorégraphie en tenue de camouflage sur fond de heavy metal chrétien…

« Jésus m’a sauvé quand j’avais 5 ans » Levi, 12 ans, écrit des sermons et se sent « dégoûté » face aux non-chrétiens. La petite Rachael, 9 ans, veut devenir manucure afin de parler de Jésus à ses clientes « quand elles se sentent détendues ». Tory, 10 ans, fait partie du groupe de danse de la « Christ Triumphant Church ». Mais elle confesse se déhancher parfois sur des musiques profanes et se sent coupable de « danser pour la chair ».

Becky Fischer l’annonce sans ambages : les enfants sont « à exploiter » puisque « c’est entre 7 et 9 ans que se développent les valeurs morales ». Elle arpente les magasins de jouets où elle déniche des accessoires pour ses sermons. Une Barbie et un Ken pour expliquer le péché originel, une « main gluante » en guise d’illustration de la tentation du diable… Les enfants semblent trouver du plaisir dans ces apprentissages. Aussi parce que le pasteur Fischer bénéficie d’un très bon relais dans les foyers. Certains, comme Lévi, sont scolarisés à domicile et reçoivent une éducation religieuses dans laquelle Darwin n’a pas droit de cité, pas plus que Harry Potter.

Cette religion, répandue dans l’Amérique rurale, s’est forgée sur le rejet d’une société de « décadence morale » et de « malbouffe ». Il s’agit de former les plus jeunes pour que la génération suivante fasse de l’Amérique le royaume de Dieu. Et un peu de pragmatisme ne fait pas de mal. Les enfants prient aussi pour Georges W. Bush, ce « saint homme » ! Qui a grandement renforcé le pouvoir et l’audience des 80 millions de chrétiens évangéliques américains. P.L.